Le chaos est désormais ce qui caractérise la situation du pays. L’on peut observer des atteintes graves aux droits et libertés fondamentales, et à la dignité de l’ensemble de la population haïtienne, qui touche entre autres à la liberté d’expression, à l’intégrité physique et à la vie, au droit de manifester.
« Le respect des droits de l’Homme constitue une condition sine qua non de la stabilité d’Haïti et du bien-être de la population haïtienne[1] », tel a été la trame de l’intervention de la France lors de la 38ème session du Conseil des droits de l’Homme au moment du Dialogue interactif avec le Haut-Commissaire sur la situation des droits de l’Homme en Haïti, à Genève, le mardi 3 juillet 2018. Or toujours est-il, deux ans après, soit 72 ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (DUDH), les droits et libertés fondamentales de chaque haïtien ne sont nullement reconnus, respectés et protégés à leurs justes titres.
La situation politique est actuellement, pour le moins, des plus critiques. Selon divers analystes, c’est une crise à différents niveaux : social, économique, éthique. Et au cœur de cette crise, pour reprendre le titre du récent article du Professeur Claude Moise, la question constitutionnelle[2]. Selon ses propos : « le pays, aujourd’hui, continue de vivre dans un tel danger de déséquilibre institutionnel et les pouvoirs publics sont dans une si flagrante inconstitutionnalité qu’il bascule dans l’arbitraire dictatorial et l’anarchie [3]». Le chaos est désormais ce qui caractérise la situation du pays. L’on peut observer des atteintes graves aux droits et libertés fondamentales, et à la dignité de l’ensemble de la population haïtienne, qui touche entre autres à la liberté d’expression, à l’intégrité physique et à la vie, au droit de manifester.
Ils sont nombreux les personnes qui, ici en Haïti, sont contraints de garder le silence refusant ainsi de se prononcer sur la situation du pays sous peine de répression, n’ont pas accès à une éducation appropriée ou à l’éducation tout court; ceux qui n’ont pas accès à un emploi; ceux qui vivent dans une situation d’extrême pauvreté et qui n’ont pas accès au strict minimum pour assurer leur survie; ceux qui sont détenus dans des conditions inhumaines, qui subissent toute forme de violations de leurs droits.
Le dernier rapport en date du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNNDDH) fait état d’au moins trois (3) massacres au détriment de la population haïtienne vivant dans des quartiers défavorisés qui ont occasionné le décès d’au moins cinquante-cinq (55) personnes[4]. D’autres cas plus importants ont été signalés par d’autres organisations et relayés par l’Organisation Nou Pap Domi pour l’année 2020, soit 944 personnes ont été assassinées de janvier à août, avec des conséquences importantes pour deux-cents quatorze (214) enfants qui sont devenus orphelins[5]. Pour la même période, toujours selon les informations reprises par l’article 124 cas de kidnapping ont été répertoriés. Malgré les mobilisations des organisations de droits humains et le rapport combien inquiétant du Secrétaire Général des Nations-Unis, ces dossiers sont jusque-là classés sans suite.
D’autre part, les questions relatives aux droits des femmes et des enfants, et celles relatives aux droits des minorités sont de plus en plus inquiétantes dans ce contexte particulier de crise fonctionnelle des institutions républicaines – caducité du parlement entre autres – et de crise sanitaire liée à la Covid-19. Selon les informations disponibles :
- 34% de femmes évoluant en couple sont victimes de violences conjugales[6].
- presque 2 enfants sur 10 de 6 à 11 ans ne fréquentent pas l’école primaire. Or, l’accès à l’éducation primaire est un droit consacré par la loi mère[7].
- 52% de personnes enquêtées rapportent avoir souffert de faim, dont 40% ont indiqué une faim modérée et 12% une faim sévère[8].
Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, lors de son Exposé sur la situation en Haïti présenté au Conseil de sécurité le 3 avril 2019 a dépeint un tableau sombre en perspective :
« Les revendications sociales, la corruption et la faiblesse des institutions constituent des obstacles majeurs à la réalisation des droits de l’homme en Haïti. […] Les services de base tels que les soins de santé, l’eau, l’électricité et l’éducation sont hors de portée de nombreuses personnes. Cette situation est exacerbée par la vulnérabilité d’Haïti face aux catastrophes naturelles, chaque tremblement de terre et chaque ouragan entravant davantage le développement et intensifiant les conditions de vie déjà précaires d’une grande partie de la population.[9]»
Dans de telles conditions, comment espérer un projet de développement qui soit en faveur des filles et fils d’Haïti, si ce n’est que par pur fantaisie ? Au service Jésuite aux Migrants-Haïti, cette question alarmante interpelle chacun de nous. Cette journée du 10 décembre, rappelant la 72e commémoration de la DUDH est un appel à la réflexion. Le gouvernement, les acteurs de la société civile, les organisations communautaires sont appelés à prendre leurs responsabilités. Haïti a besoin, plus que jamais, de réaffirmer sa volonté à se montrer engagé par rapport aux valeurs relatifs aux droits humains, à respecter et à protéger ces droits et libertés fondamentales de chaque haïtien.
Service Jésuite aux Migrants-Haïti
[1] 38ème session du Conseil des droits de l’Homme – Dialogue interactif avec le Haut-Commissaire sur la situation des droits de l’Homme en Haïti : Intervention de la France, https://onu-geneve.delegfrance.org/CDH38-Situation-des-droits-de-l-Homme-en-Haiti
[2] Claude Moise, Article paru dans les colonnes du Nouvelliste du 26 au 28 Octobre 2020, respectivement #41174 et #41175.
[3] Claude Moise, Article paru dans les colonnes du Nouvelliste, Lundi 26 Mardi 27 Octobre 2020, #41174, p. 9.
[4] Rapport du RNDDH sur l’évolution de la situation des droits humains en Haïti dans le contexte du Covid-19, p. 2.
[5] Article en ligne du nouvelliste en date du 22 octobre 2020, https://bit.ly/2IDsSi4
[6] Document PDF consulté en ligne le 09 Décembre 2020, https://bit.ly/39YoLZc
[7] Étude sur les enfants en dehors du système scolaire, 2017, consulté sur le site de l’UNICEF Haïti, le 8 Décembre 2020, https://uni.cf/33XCkEo
[8] PAM et CNSA, Rapport : « Haïti, évaluation de la sécurité alimentaire urbaine », Nov. 2016, p. 27.
[9] Michelle Bachelet, Exposé sur la situation en Haïti présenté au Conseil de sécurité le 3 avril 2019, https://bit.ly/3gwX9LP
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