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L’autotomie haïtienne et quelques petits riens

La culture politique haïtienne, empreinte d’auto-décapitation et d’élans ignifuges, date de l’aube 1804. Mais à force de séparations pour préserver l’essentiel, est-il encore possible de proclamer, sans aucun doute, que ce qui reste est encore sain ? C’est peut-être la question au cœur de la crise actuelle.


La découverte a fait beaucoup parler cette semaine. Les limaces de mer sont capables de s’auto-décapiter puis de régénérer leur corps à l’identique, organes vitaux compris. L’autotomie est un phénomène connu. Les lézards par exemple sont en mesure de régénérer leurs queues, les êtres humains une partie de leur foie. Au risque de biologiser les faits sociaux, disons que les Nations pratiquent aussi cette forme de séparation peu ragoûtante. La culture politique haïtienne, empreinte d’auto-décapitation et d’élans ignifuges, date de l’aube 1804.


Mais à force de séparations pour préserver l’essentiel, est-il encore possible de proclamer, sans aucun doute, que ce qui reste est encore sain ? C’est peut-être la question au cœur de la crise actuelle.


Jovenel Moise doit partir. Aujourd’hui ! scandent des manifestant.e.s par centaines de milliers. Dans un temps lointain encore flou, souhaite «La Lime squad». Ce tiraillement comporte en creux la crainte d’un renouveau identique, d’une pirouette teintée de rose ou d’écarlate. L’horreur qui grimace un sourire chaque fois que nous lui collons un coup de poing.


Et pour cause. Nous n’avons cessé depuis des décennies de dialoguer de rien. Nos interlocuteur.rices de l’étranger n’arrivent à entendre la parole haïtienne qu’à travers les paramètres de leur force interventionniste et militaire, ainsi que leurs intérêts marchands. Nous ne croyons plus, comme le disait le militant afro-américain Fred Hampton, que «Partout où est le peuple, le pouvoir.»


Alors que voterons-nous sinon le vide ?


La parole publique, vidée par des circonvolutions véreuses et déloyales, n’est rien. Pour combattre le kidnapping déteignons les vitres ! Le militantisme, débauché comme un vulgaire réservoir de ressources humaines à manager, n’est rien. Les organisations fleurissent au rythme des petits projets. Des lots de riens qui faisaient le bonheur, chassaient par lots les soucis, ne sont rien. La promesse d’une union se produit façon comédie Netflix, avec en arrière-plan des tap tap et des marchandes.


L’argent se détourne, pourquoi pas l’authenticité ?


Nous pourrions affirmer, un peu par facilité, que ce qui reste à préserver, ce sont les enfants. Elles et eux qui grandissent dans une ère où tout le monde avance concrètement masqué. Leur apprentissage du langage et des liens sociaux sera différent, redoutent les expert.e.s. Leur perception du vide, espérons-le, aussi.

Francesca Theosmy

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