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Les Dominicains ferment puis rouvrent leurs frontières, les Haïtiens s’en fichent !

Face à la fermeture puis la réouverture de la frontière par la République dominicaine, les Haïtiens affichent un comportement de résistance en faisant fi des conséquences qui en découlent. C’est l’une des rares fois dans l’histoire récente du pays que les populations ne se plaignent pas des impacts d’une décision jurant que par la construction du Canal sur la rivière Massacre, dans le nord-est du pays.

Produits dominicains en vente au marché de Pétion-ville. (Crédit Photo: Jude Stanley Roy/AKJ)



Reportage


Plus de la moitié de ce que consomment les Haïtiens proviennent de la République dominicaine, selon les données officielles — faisant état également du fait qu’Haïti est le deuxième partenaire commercial de la République dominicaine. Et l’invasion du marché local, entre autres, par les produits dominicains, a contribué à décourager les producteurs locaux en plus du fait que les autorités haïtiennes n’y investissent pas. Les produits dominicains sont utilisés notamment dans le domaine de la construction, dans l’alimentation et dans la médecine. Pour la construction, des fers — des matériaux de construction et des ciments viennent du pays voisin. Pour l’alimentation, presque tout vient de la République dominicaine. Pour la médecine, dans les pharmacies légales, voire informelles — pullulent des médicaments made in République dominicaine.


Dans les marchés publics, l’absence des produits dominicains se fait sentir depuis que le président dominicain Luis Abinader a décrété la fermeture de la frontière avec Haïti, le 15 septembre dernier afin de « forcer l’arrêt des travaux de prise d’eau avant d’ordonner sa réouverture en moins d’un moins. Ce, autant sur les tables des commerçants.es que dans les cuisines des consommateurs haïtiens ou sur les chantiers de construction. Le samedi est le jour où tous les marchés du pays fonctionnent à plein rendement où les gens viennent se ressourcer parfois pour toute une semaine. C’est la journée de la grande foule et tout ce qui marche avec comme les bousculades, les disputes incessantes entre marchandes et les brouhahas.


AUGMENTATION DES PRIX ET CONTREBANDE


Il est 8 h. On est au Marché des fruits au cœur de Pétion-ville dans les hauteurs de Port-au-Prince. Myriam Dorestant, originaire de Beaumont, commune du département de la Grand’Anse, vient à peine d’étaler ses produits en attendant des premiers clients. La fermeture de la frontière ne la dérange pas, encore moins sa réouverture, confie-t-elle. « Certains des fruits viennent de la République dominicaine, mais nous aussi, en Haïti, nous en produisons. Ce ne sont pas tous les fruits qui sortent du pays voisin », affirme Myriam qui s’adonne à ce commerce depuis de nombreuses années afin de pouvoir subvenir à ses besoins.


Cependant, elle admet qu’il y a rareté de certains produits sur le marché. « Nos fruits sont saisonniers. Au moment où l’on ferme la frontière, cela ne nous dérange en rien. Nous sommes en saison des fruits », ajoute-t-elle, entourée de fruits de toutes sortes. Dans les marchés publics haïtiens, il est désormais difficile de trouver des produits comme la noix de coco, les figues bananes, les œufs. Ce qui fait que les différents acteurs économiques qui utilisent ces éléments dans leur production se voient obligés de s’en priver. Pour le peu de ces produits existant sur le marché, le prix a doublé, voire triplé en quelques jours. Une situation greffée sur celle qui existe depuis des années — l’insécurité grandissante enveloppant le pays.


« Ce qui est à la base de l’augmentation des prix des produits, c’est que les gangs armés exigent des surplus d’argent aux chauffeurs pour les laisser passer. Certaines fois, ils saisissent nos produits et nous exigent de fortes sommes d’argent pour les laisser passer. Ce qui fait qu’après, les commerçants sont obligés d’écouler les produits à un prix élevé pour pouvoir faire des bénéfices », affirme Myriam.


La situation d’insécurité régnante dans le pays depuis au moins cinq ans, charrie des impacts importants sur la sécurité alimentaire en Haïti. Des gangs armés envahissent des régions réputées greniers du pays - sans oublier le fait que les gangs contrôlent les grands axes routiers violant, tuant et kidnappant des commerçants. À côté de la rareté de certains produits et l’augmentation des prix d’autres, est remarquée une remontée en force de la contrebande entre les deux pays. En dépit de la fermeture de la frontière puis le mépris du côté haïtien de sa réouverture, des produits dominicains parviennent quand même à faire leur rentrée sur le territoire haïtien. À titre d’exemple, de nombreux œufs pourris dominicains ont envahi le marché haïtien.


Dans des vidéos circulant sur les réseaux sociaux, on peut remarquer des gens traversant à pied dans des espaces frontaliers non contrôlés pour aller se procurer de produits dominicains pour venir les écouler sur le marché haïtien. Des commerçants nous confient trouver des produits dominicains par le biais de la contrebande persistante entre les deux pays depuis plusieurs décennies. Ce qui explique, entre autres, la disponibilité de certains produits dominicains sur les marchés haïtiens.


UNE RÉSISTANCE HAÏTIENNE HISTORIQUE


Eliette Pierre, dans la trentaine, est parmi ces commerçants - qui parviennent quand même à trouver des produits dominicains - malgré la fermeture de la frontière. « Nous parvenons à trouver des marchandises même si elles sont chères », confie-t-elle sans langue de bois à Enquet’Action.


Cette commerçante de salami, de hot dog, de viandes, des ailes de poule - venant de la République dominicaine admet que la récente fermeture de la frontière haïtiano-dominicaine par les autorités dominicaines traîne des conséquences. « Ça a des répercussions sur mon commerce, mais ce n’est pas un problème. Ce que nous sommes en train de faire actuellement, nous allons le poursuivre pour le terminer. La construction du canal est un excellent projet », lance-t-elle avec sourire sur le visage.


Les pertes qu’elle a connues, elle s’en fiche. « Cela ne fait rien du moment qu’on s’engage dans un projet relatif à notre bien-être. Les Dominicains doivent cesser de nous prendre pour des cons », ajoute-t-elle tout en répondant incessamment aux demandes de prix des acheteurs.

En Haïti, les populations ne jurent que par la construction du Canal. Les slogans comme : le canal ne s’arrêtera pas (KPK en créole), Le Canal ou la mort - revient dans tous les discours. C’est l’une rare fois qu’on ressent une unité commune autour d’un projet national dans l’histoire récente du pays. Un projet dans lequel chrétiens, vodouisants, intellectuels, professionnels et paysans se donnent la main. « Les frontières doivent rester fermées. Les Dominicains peuvent garder leurs produits - nous allons vendre autre chose. Au lieu de manger de la viande, nous allons de préférence consommer du hareng saur et de la morue. Les Haïtiens mangeront ce qu’ils trouveront. Le Bon Dieu nous assiste - nous n’allons pas crever. Et après, nous serons autosuffisants », souligne Eliette Pierre, commerçante et informaticienne.


Ici, l’idée est de donner une leçon historique au président dominicain et aux dominicains afin de leur rappeler de quoi sont capables les Haïtiens quand ils se mettent ensemble pour combattre un ennemi commun. C’est dans cette lignée qu’un retour à la terre fait son petit bonhomme de chemin. Sur les réseaux sociaux est enclenchée une véritable campagne vers le retour à la consommation de la production locale. Dans ce contexte, d’anciens entrepreneurs négligés ont émergé autant que pour des entreprises locales subissant de plein fouet l’invasion du marché par les produits dominicains.


Ainsi, cette fermeture des frontières a entraîné une revalorisation inédite de la production locale. « Du fait que des produits dominicains sont absents sur le marché cela fait augmenter la demande pour les produits locaux », souligne Simone, qui vend des fruits et légumes comme le citron, de la pomme de terre, des oranges, de la figue banane, des melons, des épinards, les poivrons, la tomate, — rencontré dans ce marché de Légumes logés à Pétion-ville.


« Cela ne fait rien du moment qu’on parvient à trouver des produits faits localement. Nous résistons. Nous n’avons aucun problème avec cela », dit-elle avant d’ajouter : « Le Canal ne va pas s’arrêter. Le Canal sera le nôtre. Il sera à notre avantage. La fermeture de la frontière nous ouvre les yeux. Les étrangers ne vous aiment pas. Ils ne font que vous exploiter, fait savoir Simone rappelant qu’Haïti produit tout. S’il n’y avait pas d’insécurité, nous saurions tout trouver à manger ».


Le président dominicain Luis Abinader a décrété la fermeture de la frontière avec Haïti le 15 septembre dernier pour forcer l’arrêt des travaux de prise d’eau, bien que les mesures n’aient pas interrompu le projet. Et pendant ce temps, du côté dominicain, les commerçants et les producteurs subissent des millions de dollars de pertes en raison de l’absence de commerce avec Haïti, ce qui a forcé le gouvernement à leur venir en aide.


HAÏTI SE PROJETTE SUR D’AUTRES MARCHÉS


« Le Gouvernement de la République d’Haïti félicite la population pour son calme, sa sérénité et son patriotisme face aux mesures disproportionnées prises par les autorités dominicaines. Il continue à mener des consultations et à prendre des dispositions appropriées dans l’intérêt des Haïtiennes et des Haïtiens », soulignent les autorités haïtiennes dans un communiqué publié le 9 octobre dernier. Le gouvernement réaffirme le droit inaliénable des Haïtiens d’utiliser de façon équitable les ressources hydriques binationales.


Le Gouvernement dit continuer de privilégier le dialogue afin de résoudre le différend avec la République dominicaine concernant la Rivière Massacre. « Il considérerait comme inacceptable et hostile, toute tentative visant à détourner les eaux de ladite Rivière afin d’en priver les Haïtiens, ce en violation de l’accord de 1929 », critique-t-il. Pour lui, un dénouement ne sera considéré comme convenable, que si elle permet le partage équitable des ressources hydriques, la normalisation des relations entre les deux pays et de revenir à la circulation des personnes et des biens des deux côtés, comme c’était le cas entre les deux Républiques avant la fermeture unilatérale du 15 septembre dernier.Le Gouvernement haïtien a dénoncé la relance des travaux du Canal de la part du pays voisin visant à détourner les eaux.


Pour faire suite à la rencontre du 26 septembre dernier avec les différentes Chambres de commerce en Haïti, le ministre du Commerce et de l’Industrie, Ricardin Saint-Jean, a discuté en son bureau, le 5 octobre 2023, avec le Secteur privé, notamment les importateurs et les industriels produisant en Haïti en vue de trouver la meilleure formule pour répondre aux besoins immédiats de la population haïtienne face à la crise haïtiano-dominicaine engendrée depuis la fermeture de la frontière de manière unilatérale par la République voisine, peut-on lire dans un communiqué.


Avec cette nouvelle rencontre, le ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI) entend discuter avec les principaux concernés sur « la volonté manifeste » du Gouvernement de travailler afin d’une part de diversifier ses partenaires commerciaux et d’autre part de réfléchir sur les besoins nécessaires en vue d’augmenter la capacité de production des industries locales. Lors des discussions, différentes propositions ont été mises sur la table. Une rencontre est déjà programmée pour le mardi 10 octobre avec la coopération mexicaine en Haïti en vue d’explorer de nouveaux partenaires commerciaux pour le Pays. À travers toutes ces initiatives, le gouvernement entend tout mettre en œuvre afin de pallier les conséquences à court terme découlant de cette crise, et surtout de s’assurer à réduire à long terme, la dépendance du Pays de l’importation.


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