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Les produits en styrofoam : omniprésents, mais illégaux en Haïti

Les produits en styrofoam sont omniprésents dans les rues des grandes villes en général, à Port-au-Prince en particulier, où ils représentent une menace pour la santé et l’environnement, tout aussi pour la biodiversité et l’écosystème marin d’un pays où il n’existe pas de politique de gestion des déchets.



Reportage


La chaleur est suffocante et les marchands.es occupent depuis des heures leurs positions habituelles, étalant leurs produits en veux-tu en voilà. De la bousculade, des bruyantes voix qui se mêlent, des disputes, des injures, de la colère. Telle est l’ambiance que présente le marché Salomon, en plein de cœur de Port-au-Prince, à l’approche de la mi-journée.


Nous rencontrons Pierre*, marchand de produits en styrofoam depuis 2018. « La raison qui m’a poussé à vendre ces produits, c’est parce que je voyais qu’ils étaient très demandés », nous raconte-t-il d’entrée de jeu. Cinq années après, la vente devient de plus en plus rare pour le commerçant à cause de la concurrence. Aussi, l’inflation le frappe de plein fouet. « Avec l’argent qu’on pouvait acheter trois caisses, on ne peut même pas s’offrir deux à présent. Les prix augmentent à chaque fois qu’il y a une rareté sur le marché et les raretés se présentent à chaque fois que la frontière [entre la République dominicaine et Haïti] est fermée », explique-t-il avec désolation.


Joseph*, un voisin de Pierre, pense que la solution serait de fabriquer les produits en styrofoam sur place. « On devrait créer une compagnie capable de les produire en Haïti, car les demandes augmentent. Ce qui pourra également être bénéfique pour le transport, car de la République dominicaine à Haïti, les produits arrivent souvent abîmés », souligne le commerçant, assis devant son entrepôt.


Pierre, Joseph ainsi que les autres grossistes du marché de Salomon se chargent de vendre les produits en styrofoam aux petits commerçants qui les apportent dans les quartiers avoisinants.


À 5 h 30 de l’après-midi, nous nous rendons sur La Place des Artistes, au Champ de Mars, à proximité du ministère du Commerce et de l’Industrie. C’est une pile d’immondices, composée principalement de déchets en polystyrène (styrofoam), qui nous accueille avant d’être plongée dans une véritable cacophonie de décibels. À chaque coin, son petit business de boissons alcoolisées, de fritures, son lot de tables et de chaises, sa propre musique et son paquet de plats en styrofoam.


Mme Onickel, ainsi connue, est l’une des occupants.es de l’espace. Debout devant une chaudière contenant de l’huile bouillante, une boîte en polystyrène en main, elle s’apprête à servir des clients.es. « Les boîtes en styrofoam sont plus avantageuses. Je les préfère en lieu et place des assiettes réutilisables ou biodégradables », raconte-t-elle. Selon celle qui est dans ce commerce depuis 2019, les plats en polystyrène lui facilitent la tâche. « J’ai de nombreux clients. Ce qui rend difficile l’utilisation des assiettes réutilisables. Si les clients ne voulaient plus les plats en styrofoam, je ne saurais quoi faire en ce sens », précise-t-elle.


Un danger pour l’environnement


Selon le directeur exécutif du Groupe d’Action francophone pour l’Environnement (GAFE), David Tilus, les polystyrènes ont beaucoup d’impacts néfastes sur le milieu ambiant. « Les polystyrènes ont des impacts qui contribuent au réchauffement climatique. Ce sont des produits qui sont très difficiles à recycler. On ne peut rien faire avec. Ils présentent un faible taux de récupération et de recyclage », souligne-t-il en précisant que ces produits sont à base de benzène et sont dérivés du pétrole.


Selon M. Tilus, les polystyrènes sont aussi un vecteur de pollution des eaux, un danger pour la biodiversité et pour l’écosystème et prennent environ 500 années pour se décomposer. « Quand ils sont jetés dans la mer, les poissons les mangent. Ils peuvent les étouffer et ces déchets présentent des substances toxiques dans l’océan. Ce qui veut dire qu’ils peuvent créer un déséquilibre dans l’écosystème », révèle-t-il.


Soulignant que les Styrofoams ne sont pas les seuls récipients qui puissent être utilisés pour manger, David Tilus conseille aux haïtiens.nes de retourner aux anciennes traditions. « Utilisez les récipients de chez vous qui peuvent être lavés aussitôt après. Si chaque secteur utilise cette même stratégie, les produits en styrofoam vont rester entre les mains de leurs distributeurs », croit le numéro un du GAFE, l’institution ayant un pacte pour la transition écologique et sociale. Dans ce document figurent des mesures liées aux Styrofoams.


« Nous continuons aussi avec la mobilisation citoyenne, avec le mouvement ALTERNATIBA, mouvement citoyen pour le climat. Chaque 10 juillet nous organisons la journée nationale de sensibilisation contre le styrofoam. Un produit dangereux pour notre santé. Sa fumée est toxique. Il empoisonne nos terres. Ce qui va causer des problèmes à la production et à l’agriculture », informe David Tilus.


Et les arrêtés qui n’arretent rien …


En dépit de plusieurs interdictions sur l’importation, la commercialisation et l’utilisation des produits en polystyrène, ils sont toujours omniprésents en Haïti. Faire appliquer l’arrêté du 9 août 2012 et celui du 10 juillet 2013 n’est pour demain. « Il y a eu un manque de planification de l’État haïtien », nous explique Joaneson Lacour, un ancien membre du cabinet du ministre de l’Environnement Jean Vilmond Hilaire dans les années 2012. « J’ai dit au ministre, si j’étais à votre place, je ne signerais pas ce décret parce que c’est mal rédigé », se souvient le doctorant en chimie de l’environnement.


Selon Joaneson Lacour, l’arrêté comportait beaucoup d’erreurs, de fautes techniques et de fautes de syntaxe. À peine nommé par l’administration Martelly-Lamothe, le ministre Jean Vilmond Hilaire l’a signé par obligation. Le formateur en science de l’environnement dit avoir prédit que l’arrêté aurait des problèmes. « On devrait dialoguer d’abord avec les importateurs de styrofoam avant d’appliquer ce décret. Il ne suffit pas de prendre une décision politique pour penser qu’elle va marcher. Il faudrait d’abord la planifier avec les acteurs », fait-il savoir.


Selon lui, on devrait d’abord sensibiliser la population, les grossistes et les petits détaillants. « On devait les expliquer tous les effets néfastes que les déchets des polystyrènes peuvent avoir sur l’environnement et les dégâts qu’ils peuvent occasionner quand ils encombrent le Bois de chêne, par exemple. C’est tout un système éducatif qu’on devrait mettre avant d’émettre une telle interdiction », souligne Joaneson Lacour.


Un secteur économique important


« Jusqu’à 2012, environ 200 millions de dollars étaient impliqués chaque année dans le commerce de polystyrènes. Beaucoup d’argent », nous informe Joaneson Lacour, ancien membre du cabinet du ministre de l’Environnement Jean Vilmond Hilaire en 2012.


Entre 2012 et 2013, environ 150 mille caisses (avec 1000 unités par caisse) de styrofoam sont rentrées en Haïti par mois. Des données qui montrent que les Haïtiens vendent et utilisent grandement les produits en styrofoam. « On ne peut pas détruire toute une économie comme ça du jour au lendemain, il faudrait entrer en dialogue avec les partenaires économiques pour le faire. Des importateurs qui les vendent aux petits marchands gagnent de l’argent. Les petits marchands qui vendent de la nourriture y gagnent aussi », avance M. Lacour.


Ces aspects économiques ne sont pas négligeables, selon le professeur qui pense que l’État haïtien devrait penser à des alternatives qui devraient être bénéfiques pour le secteur privé ainsi que les petits.es marchands.es. « J’ai proposé aux autorités une entente avec le secteur privé et les importateurs », souligne-t-il en précisant que l’État peut aussi développer une technologie faisant la transformation des déchets. Une initiative pouvant créer de la richesse.


« Non seulement cela apportera une solution pour la protection de l’environnement, mais aussi une solution au manque d’emploi », poursuit M. Lacour, indiquant que c’est la chaîne d’approvisionnement du recyclage des styrofoams qui est compliquée. Par ailleurs, l’agronome Joaneson Lacour informe qu’il a un projet en cours afin de trouver une solution avec les styrofoams. « Moi et d’autres collègues dans le nord sommes en train de proposer une autre solution qui est encore plus simple. Nous allons voir comment nous pouvons faire la pyrolyse avec ces déchets », fait-il savoir en rappelant que les polystyrènes sont dérivés du pétrole.


Fabiola Fanfan


Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.

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