Sous le poids de menaces de mort persistantes, le photographe haïtien Dieu-Nalio Chéry a dû laisser Haïti avec sa famille à destination d’un autre pays, c’est du moins ce qu’a appris la rédaction du média d’information et d’investigation Enquet’Action. Avant que le photographe multi-primé haïtien Dieu-Nalio Chéry travaillant pour Associated Press (AP) ait laissé Haïti pour se réfugier ailleurs après avoir réalisé un cliché historique des exactions des gangs tout-puissants, il était constamment menacé. Enquet’Action vous présente le récit des derniers évènements qui ont conduit à cette décision ainsi que les menaces qui les précédent.
Récit des évènements
C’était le 17 mars 2021, les policiers faisant partie du groupe Fantom 509 ont investi les rues pour exiger la libération de leurs confrères et de meilleures conditions de travail. Ce jour-là, pas moins de deux policiers ont été libérés de force par les Fantom 509 après avoir parcouru plusieurs zones de la région de Port-au-Prince. Et le photographe Dieu-Nalio Chéry les suivait pas à pas. Sur la route de l’Aéroport, arrivés devant le local du concessionnaire automobile Nissan, ils ont tiré plusieurs coups de feu. Ensuite, ils ont investi l’espace. « C’est alors que j’ai essayé de capturer des images. Et des policiers de Fantom 509, m’ont pointé dessus. Et m’ont dit – vous n’entendez pas qu’on vous dit de ne pas prendre des photos ici? Je leur réponds: aucun problème, je ne vais pas prendre des photos », dit-il, tout en observant ce qui se passe à l’intérieur. Par la suite, ils se rendent dans la compagnie Auto Plaza où l’on vend des motocyclettes. Dès lors, le photographe dit avoir rebroussé chemin.
Une personne lui apprend qu’on est en train de piller la Casami sur la route de l’Aéroport. Il y va en toute hâte. À son retour, les bandits lourdement armés de Simon Pelé envahissent la Auto Plaza. « Ils ont tué d’innombrables personnes. Ils ont criblé des gens à l’aide d’armes automatiques. Parce qu’il y avait des gens qui allaient piller l’entreprise. Des gens courent, certains tombent par terre, d’autres sont tuées. Sur place, mon réflexe me disait de me cacher derrière un mur non loin de la pompe à essence. J’ai demandé à mon chauffeur de rentrer sa moto pour la cacher. On se cache là. Et je prends des images. J’ai commencé à prendre des clichés de ces civils armés qui se tiennent dans la rue en train de tirer, j’ai vu de mes propres yeux, ces gens en train de transporter des personnes qu’ils ont tuées. Ils les trainent comme des cabris en traversant la rue », conte-t-il, la voix totalement éprouvée.
« Quand je vois qu’ils s’en vont avec une bonne quantité de gens tués, je me suis dit s’ils sont au courant que je vois ces exactions, ils vont me tuer. Parce que c’est quelque chose qu’ils font pour ne pas laisser de trace. Là où je me trouve, je ne suis pas loin d’eux. S’ils font un recul, ils me verront parce que je ne suis pas loin d’eux », avance-t-il. À ce moment, le photojournaliste confie qu’il demande à son chauffeur de moto de démarrer et de laisser en hâte la zone parce qu’il ne peut pas rester là. « Nous courrons en toute hâte. Nous-nous sommes arrêtés au carrefour de l’Aéroport pour essouffler un peu ». À ce moment-là, tous les journalistes ont dû laisser la zone en raison des fusillades. Dieu-Nalio Chéry était l’unique à rester sur le terrain.
Quelques jours plus tard, un confrère l’a appelé au téléphone pour lui dire qu’il est recherché par des bandits en lui citant le nom de l’un des plus puissants du pays. « Je lui ai demandé pourquoi. Il me disait, il a vu quand vous avez couru, ils ont visionné vos images et votre nom en dessus. Je lui dis pour qui il a demandé exactement, il me répondait, vous-même en citant mon nom », continue-t-il. « Depuis ce jour-là, ma tension artérielle augmente. J’ai vu que je suis passé tout près de la mort. Mais en apprenant cette nouvelle, ma tension a continué d’augmenter. Soit 20 par 14. De nature, je ne suis pas hypertendu ». Après maintes réflexions, il a décidé d’écrire à son agence pour lui informer de la situation – mais surtout pour dire qu’il a besoin d’assistance et qu’il ne peut pas aller travailler. Dieu-Nalio a de nouveau appelé le collègue qui lui a informé des menaces pour tout confirmer. « Il m’a dit qu’ils vous cherche, restez "undercover" et cessez de sortir dans les rues. J’ai immédiatement demandé que mes enfants abandonnent l’école et j’ai demandé à ma femme d’abandonner son travail. J’étais obligé de laisser la maison pour un bon bout de temps. J’ai dû me mettre à couvert. Sans oublier, j’ai reçu des appels anonymes ».
C’est à ce moment-là que Dieu-Nalio Chéry a décidé de tout prendre au sérieux et de laisser le pays. « Je suis en sécurité là où je suis », a-t-il confié à Enquet’Action.
Les menaces précédentes …
Munis d’au moins deux caméras – une en bandoulière et l’autre dans sa main droite, la motocyclette qui le transporte file à toute vitesse pour aller immortaliser un moment clé de la protestation du jour. Sur le parcours, tellement habitué à couvrir ces évènements, il connaît bien du monde. Des manifestants.es omniprésents.es à des journalistes qui sont souvent sur le macadam. Les tirs nourris, les bombes lacrymogènes, les incendies et les échauffourées ne le font pas rebrousser chemin. Au contraire, ce chasseur d’images est aux aguets. Il est obligé - car il ne peut se permettre de râter les moments forts pour la consommation du public international. Ses yeux sont partout à la recherche de la photo du jour. Ceci résume le quotidien du photographe multi primé haïtien Dieu-Nalio Chéry quand le pays est en ébullition – et surtout dans les protestations de rues qu’il couvre pour la deuxième agence de nouvelles au niveau mondial, Associated Press (AP). Dans ce métier qu’il exerce depuis 2010, M. Chéry est souvent la cible d’attaques de tout genre. Il s’est confié à Enquet’Action.
« À plusieurs reprises, j’ai subi des agressions. Ceci, dépendamment de la zone, mais aussi sur les réseaux sociaux ou physiquement, a déclaré Dieu-Nalio Chéry assurant que les menaces peuvent être entre autres à deux niveaux. Il rappelle que les photojournalistes sont beaucoup plus ciblés – parce qu’ils.elles captent des images, donc sont obligés.es d’être au cœur des actions. Des forces de l'ordre ont parfois de mauvais comportements envers les photojournalistes. Car ils savent que les images qu'ils prennent peuvent soulever les organisations des droits humains contre eux. Nous subissons également des menaces venant de manifestants.es qui sèment le trouble lors d’une protestation. Un manifestant qui lance des pierres à l'endroit des policiers, qui écrase les pare-brises des véhicules ou qui les incendie ».
Parfois après un reportage, en sortant dans les rues, le photojournaliste affirme recevoir des menaces venant d’individus munis d’armes à feu. « Dieu m'a sauvé », dit-il. Le travailleur de la presse insiste sur le fait que les photojournalistes ne créent pas des images, mais les capturent. Dieu-Nalio remet alors en question l’existence réelle de la liberté de la presse en Haïti. Les raisons sont multiples et variées. « On ne peut aller n'importe où pour effectuer un travail. Comme dans ce qu'on appelle des zones de non droit où l'on ne peut pas aller faire un reportage, sans l'approbation du chef des lieux. Ce qui donne du fil à retordre. Parfois, on a envie de travailler sur un dossier, on n'a pas accès aux circuits de communication. Toutes les informations ne sont pas toujours disponibles et surtout si l'information n'est pas en faveur du concerné, on risque même de laisser sa peau », se plaint-il. Dieu-Nalio Chéry a, en effet, été blessé par balles le 23 septembre 2019 sur la cour du Parlement haïtien où des échauffourées ont éclaté entre des parlementaires et des militants. Ses conditions se seraient davantage aggravées s’il n'avait pas été évacué en urgence vers l’étranger pour pouvoir recevoir des soins de santé appropriés. Loin d’être au bout de sa peine, le 10 février 2021, il été blessé à la jambe par une grenade lacrymogène lancée par les policiers. Un cliché le montrant en train de recevoir des premiers soins de la part de confrères et consoeurs journalistes présents a alors fait le tour des réseaux sociaux.
Milo MILFORT
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