Malgré les retombées négatives de la pandémie Covid-19 tant à travers le monde qu'en Haïti, la professeure d'université, Norah Brutus, croit fermement en la résistance et la résilience du peuple haïtien pour surmonter cette crise qui traine derrière elle pas mal d'incertitudes. En dépit des inquiétantes prévisions de nombreuses institutions, elle doute que ce peuple puisse sombrer. «Les Haïtiens-nes vont creuser davantage dans leur répertoire proverbial et/ou imaginaire comme ‘’pito nou lèd nou la’’ ou se tourner vers d’autres formes de solidarité familiale /communautaire, s’armer de courage qui fonde leur résilience habituelle pour y faire face », soutient-elle.
Enquet’Action : Comment comprenez-vous la crise provoquée par le coronavirus ?
Nora Brutus : Sans faire fi de toutes les questions suscitées par la Covid-19, en particulier celles sur son origine et la source de la contamination humaine, je dirais que c’est une maladie qui, inconnue du monde médical moderne, est en train de mettre à mal toutes les grandes sociétés du monde réputées pour avoir des systèmes de santé et/ou de soins performants. Sa nature, ses voies de contamination d’un humain à l’autre, son taux de létalité éprouvés jusqu’ici ainsi que les probables dégâts sur les survivants rendent tout le monde vulnérable et perplexe quant à l’après Covid-19.
C’est effarant de constater que depuis cinq (5) mois environ, le monde est entré dans un fonctionnement ralenti et que le temps ne vaut plus grand-chose que s’il ne s’agit du temps à essayer de rester en vie ou à sauver des vies, notamment dans les sociétés capitalistes imprégnées de la culture du «time is money». En fait, la COVID-19, en plus de susciter de sérieuses interrogations sur le leadership mondial, les choix économiques et politiques effectués jusque-là par les différents pays - riches et pauvres – aura donné à chaque acteur individuel ou collectif l’occasion de réfléchir sur «l’Humanité» et la place de la personne humaine parmi les espèces vivantes de la planète.
Avec l'arrivée de cette crise, beaucoup de familles haïtiennes de la diaspora ont perdu leur emploi, quel sera, selon vous, l'impact de cette situation sur leur vie?
A l’heure actuelle, il n’existe pas de données officielles précises sur l’origine nationale des victimes de la Covid-19, les personnes au chômage et le niveau de la baisse des transferts. Certains pays, comme le Canada par exemple, peuvent choisir de ne pas tenir compte de l’origine nationale pour l’instant afin d’éviter la stigmatisation.
Tant qu’on n’aura pas de données spécifiques sur la proportion de personnes au chômage dans les communautés haïtiennes de la diaspora, on ne peut pas s’aventurer à produire des analyses d’impact précises sur la vie des haïtiens à l’étranger ou d’éventuelles répercussions sur les transferts de fonds en Haïti.
Cependant, les autorités canadiennes confirment avoir reçu au 24 mai 2020 un total de 14,74 millions de demandes « de prestations canadiennes d’urgence » liées au Coronavirus (1). Il s’agit de personnes qui ont perdu, tout au moins provisoirement, leur emploi. On peut logiquement penser que certains de nos compatriotes font partie de ces gens. Auquel cas, on peut penser à une baisse des transferts. Mais, il faudra attendre les statistiques de la Banque de la République d’Haïti pour savoir exactement à quel niveau. C’est globalement le même scénario pour les États-Unis et les pays occidentaux où se trouve la diaspora haïtienne.
Dans les pays développés comme les Etats-Unis où vivent bon nombre d'haïtiens, face à des soucis quotidiens, le suicide reste pour certains la meilleure alternative. Pensez-vous que cette crise pourrait entraîner une telle conséquence?
Dans la société haïtienne, le suicide est un phénomène que l’on peut classer dans l’ordre des exceptions. Jusqu’ici, il n’a jamais été une solution, voire l’alternative, pour des Haïtiens-nes faisant face à des conditions de précarité majeure dans leur quotidien pour subvenir aux besoins de nourriture, de vêtement et de logement ou pour subvenir aux besoins de toute une famille sans revenu ou avec des revenus nettement inférieurs aux besoins. Si cela devait être le cas, il resterait très peu d’Haïtiens dans ce pays car la situation socioéconomique du pays, bien avant la Covid-19 et la dévaluation à outrance de la gourde par rapport au dollar, était déjà infernale et insupportable pour la grande majorité de la population.
La situation sera beaucoup plus grave – on prédit déjà la famine, la diminution des transferts et la flambée des prix des produits de première nécessité, importés pour la plupart - et, à mon avis, les Haïtiens-nes vont creuser davantage dans leur répertoire proverbial et/ou imaginaire – « pito nou lèd nou la », par exemple – ou se tourner vers d’autres formes de solidarité familiale /communautaire, s’armer de courage qui fonde leur résilience habituelle pour y faire face…et ne pas penser au suicide comme alternative.
Cela dit, il faut souligner une tendance des jeunes à penser au suicide, signalée par des travailleurs sociaux et psychologues de mon milieu professionnel depuis deux ou trois ans, en raison des troubles sociopolitiques et du climat de désespoir qui en découle. Le passage à l’acte demeure toutefois minimal.
Une famille vivant en Haïti qui, avant la crise de la Covid-19, dépendait de ses proches à l'étranger. Quel sera sur cette dernière l'impact de cette crise qui pourrait entraîner une diminution des transferts de la diaspora?
Même au niveau de la BRH on ne dispose pas encore de données actuelles sur la diminution des transferts de fonds de la diaspora. Il faudra attendre la prochaine note sur la politique monétaire. On peut toujours spéculer sur la situation et prévoir que ces types de familles seront grandement affectés dans leur consommation – puisqu’il a été déjà démontré que la plus grande part des transferts de fonds en Haïti sert à la consommation de base, les frais d’écolage et le loyer.
Le post-Covid-19 s'annonce très ténébreux pour le monde entier lorsqu'on songe à la chute de l'économie mondiale, la chute du commerce mondial, l'explosion de la crise alimentaire qui sera mondiale, la hausse vertigineuse du taux de chômage. A quoi doit-on s'attendre? Quels seront les impacts sur les gens?
Je préfère ne pas faire de prédiction sur les gens... L’être humain peut se révéler d’une capacité d’adaptation exceptionnelle. On peut s’attendre au pire et constater le moindre, tout comme on peut s’attendre au moindre et découvrir le pire… L’on s’attend quand même à des changements au niveau de la socialité. Par exemple, l’on se questionne déjà sur la disparition de certaines pratiques de salutations (câlins, poignée de mains, etc.) et de manifestations de joie.
(1) : https://www.canada.ca/fr/services/prestations/ae/reclamations-rapport.html
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