La foi en la parole politicienne et médiatique ne cesse de s’effriter. Au point de se réduire, sans excès métaphorique, à une peau de chagrin. On nous ment !Telle est la devise du monde globalisé de ce début de XXIe siècle. Haïti n’est pas un cas à part.
On nous ment sur les extraterrestres, sur les vaccins, sur le 11 septembre, sur la mort de Michael Jackson… Le doute est le dernier rempart des croyant.e.s en une saine liberté. Même la science, aujourd’hui, n’échappe pas au scepticisme des honnêtes penseurs armés de leurs claviers. Un Américain a tenté de prouver que la Terre était plate. La communauté platiste le pleure depuis.
Dans ce contexte de démence, quiconque dit tout et son contraire a beaucoup de chance de tirer son épingle du jeu, à court terme. Voyez Donald Trump comme il tricotait les fadaises. Voyez comme depuis Michel Martelly l’espace public part en vrille. Un scandale en chasse un autre. Un massacre défie l’horreur du précédent. Sans rapport d’autopsie et sans les enregistrements vidéo de la villa présidentielle, les informations sur l’assassinat de Jovenel Moïse pourraient noircir un livre plus épais que la Bible.
Le fait est qu’il n’est pas obligatoire de voir pour croire. Il importe simplement de suivre la même histoire en boucle, sous différentes versions. C’est ce qui fait l’identité. C’est ce qui fait l’humain. Les histoires. Qu’elles soient fictives n’y changent rien. Nous avons une disposition naturelle à valider ce que l’on nous raconte, en dépit de la logique et du bon sens.
On peut écouter Maurice Sixto des milliers de fois. On croira le temps de la lodyans, que c’est Manzè Sandrine qui remet si splendidement à sa place, ce bon vieux Zabelbòk Bèrachat. Combien sont disposé.e.s à accepter pour vrai qu’un charpentier puisse changer de l’eau en vin ? D’un autre côté, les récits même alcoolisés, à propos d’un.e défunt.e lors de sa veillée, sont fondamentaux dans le deuil. Fiction et ébriété font très bon ménage.
Pour cette raison, les médias, les entreprises et les politiques utilisent des schémas narratifs dans leurs messages. Une rumeur, un potin comme un film requiert que l’on suspende notre incrédulité. Nous le faisons souvent avec bonheur, parfois pour le meilleur. Dans un univers dominé par l’imposition agressive et déloyale d’intérêts particuliers, toujours pour le pire.
Personne n’a envie d’être saoul mort pendant que sa maison prend feu ni d’être dans une veillée funèbre permanente. Pourtant, c’est ce que vivent les Haïtien.ne.s.
A l’ère des réseaux sociaux, l’accès aux flux de messages se démocratise. La tendance à délaisser tout jugement, dès lors qu’une histoire est prenante, se ressent dans l’appropriation des outils numériques. Les algorithmes sont conçus pour favoriser l’outrance et l’hystérie. Au bout du compte, les utilisatrices et utilisateurs se retrouvent dans un torrent de contenus. Saturé.e.s, elles et ils scrollent puis capitulent. Haussement d’épaules, boulot, dodo. Certain.e.s téméraires font le tri.
Le choix va en général vers des sources éloignées de l'environnement familier ou des canaux traditionnels. Résultat : les plus à l’ouest émergent en prophètes de la vérité. Les théories du complot gagnent le parfum d’évangiles. Rumeur et parole officielle se confondent. Un média étranger devient plus fiable qu’un média local, alors que tous deux obéissent aux mêmes logiques économiques. Dans la même veine, un chanteur vaut mieux que n’importe quel politicien de carrière. En quelques secondes, à l’aide de raccourcis et d’une rhétorique malveillante, Eric Zemmour balaye facilement tous nos livres d’histoire.
Et ainsi de suite. Jusqu’à l’absurde.
Nul besoin de carotte, ni de bâton. Une bonne histoire suffit. Tendez sagement l’oreille voire les deux. Les lodyansèetlodyansèzvous offriront toujours des rebondissements, avec une suite dans la foulée.
Ce sont-là les bénéfices rocambolesques du doute dans un univers saturé d’informations et soumis à des intérêts complexes. Quand on a trop soupé de bouyon mimi,on se jette sur n’importe quelle salade. Tant pis pour la vérité. Tant pis pour la raison.
Francesca Theosmy
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