top of page

Petite esquisse historique des médias féminins en Haïti

Vers 2010, le numérique a connu une mutation fulgurante en Haïti. Ce qui a vu la multiplication à outrance des médias en ligne mais également des gens qui se sont auto-appelés.es journalistes. Une véritable bidonvilisation du secteur. Le constat est que, la quantité ne marche pas de pair avec la qualité. Il a fallu attendre avril 2018 pour voir le lancement de Dofen News – qui est le premier média féminin en ligne en Haïti. De nos jours, les principaux journaux de femmes publient des articles en français – la langue peu parlée par la grande majorité des personnes dans le pays.

Enquête

Dans l’histoire des médias en Haïti, on a connu des médias comportant des femmes excellentes – des médias dirigés par des femmes – des médias avec des émissions faites sur mesure pour les femmes. Également, celles ayant la femme comme thématiques et perspectives – si peu soient-elles, se retrouvent dans l’agenda même si c’est à des moments spécifiques. En résumé, dans la communication de genre en Haïti dans les médias de masse, la femme, tant comme sujet que comme objet, occupe très peu de place. Donc, elles sont sous représentées, constate-t-on. Mais qu’en est-il des médias des femmes qui se sont accaparées de cet outil fondamental dans la construction d’une démocratie pour mettre au devant de la scène les femmes – leurs paroles, discours et perspectives?


Vide documentaire…


« Un média féminin est un type particulier de média qui est conscient de la réalité des femmes et qui utilise l’espace médiatique comme outil de contribution à la transformation des conditions de vie des femmes. Ces médias, dans leur démarche, privilégient les femmes journalistes – pour les positionner dans la profession – et donne la parole aux femmes de tous secteurs confondus, pour en faire des acteurs à part entière dans la vie de leur société et du monde en général », assure Daniella Jacques, PDG de Dofen News, premier média féminin en ligne en Haïti, en entrevue à Enquet’Action. https://ijnet.org/fr/story/médias-féminins-en-haïti-entre-pérennité-incertaine-et-passion-d’informer


Anna Augustin avec Fémina ?


Très peu ou presque pas de documents existent sur la thématique de médias féminins en Haïti. Face à ce vide – Enquet’Action est allé fouiller dans les annales de l’histoire. Vers 1923, fondation par Anna Augustin de la revue trimestrielle Fémina du cercle culturel du même nom. Cette revue dirigée par Camille Munier ne durera que très peu de temps, selon ce que rapporte le peu de documents retrouvés. Mais il nous est difficile de certifier qu’il s’agissait d’un véritable média féminin. http://jasminenarcisse.com/memoire/03_feminisme/02_reperes.html


La voix des femmes de la Ligue


La Ligue féminine d’action sociale, la première organisation féminine en Haïti à lancer un an après sa fondation – soit en 1935, le premier journal du pays écrit par des femmes dénommé « La Voix des femmes » constituant le principal organe de propagation des idées défendues par la Ligue. À l’époque, ces femmes rédactrices faisaient partie de celles à pouvoir égaler les hommes au niveau intellectuel. Parmi les rédactrices de cette revue parue en français, on comptait Yvonne Hakim-Rimpel, journaliste et militante – mais aussi Jeanne Perez comme rédactrice en cheffe, Cléantte Desgraves-Valcin comme gérante et Amélie Laroche – secrétaire.


Escale de Yvonne Rimpel


En 1937, le journal a obtenu une médaille d’argent à l’exposition de Paris pour la haute portée sociale de ses actions. La Voix des femmes a été suspendue provisoirement en 1942 en raison de la première guerre mondiale. Peu de temps après, soit en 1951, Yvonne allait fonder « Escale », un bihebdomadaire d’information. Ce journal publiait des informations et analyses sur les femmes, écrivains et politiciens. Victime du régime duvaliériste (battue et laissée pour mort) en janvier 1958, elle meurt le 28 juin 1986, à l’âge de 80 ans. Yvonne Hakim Rimpel est considérée, par plus d’un, comme l’une des premières femmes journalistes en Haïti. À travers « Escale », elle menait un combat sans merci contre le duvaliérisme.


Clorinde Zéphyr de Ayiti Fanm


Clorinde Zéphyr a créé en août 1991 le journal Ayiti Fanm – considéré comme le premier journal de femmes à diffusion nationale et en créole. Elle travaille dans le domaine de l’éducation et milite pour l’établissement de la démocratie en Haïti, depuis son retour en Haïti après le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986. Féministe engagée, elle a mis sur pied, en 1987, le centre Enfo Fanm, le premier centre d’information et de documentation sur les femmes en Haïti.


Anayizz de Beaudelaine Pierre


Il a fallu attendre le 26 novembre 2006 à la 8ème édition de la foire Livres en Liberté à Jacmel dans le sud-est et par la suite le 29 novembre de la même année à Miami aux Etats-Unis pour voir le lancement de Anayizz, le plus ambitieux des projets de médias féminins de toute l’histoire du pays.


Voilà comment Beaudelaine Pierre, communicatrice et rédactrice en chef l’a défini dans un article du quotidien Le Nouvelliste en décembre 2006.


« ANAYIZZ est la revue internationale des femmes haïtiennes. C'est une revue bilingue (créole et français) représentative de la situation et de l'apport des femmes haïtiennes dans leur environnement au triple point de vue politique, économique et socioculturel. ANAYIZZ touche les sujets qui concernent la femme haïtienne en Haïti ainsi que celle-la qui vit dans d'autres pays où la migration haïtienne est très forte, tels les USA, la République dominicaine, le Cameroun, la France, Cuba, etc. Ainsi donc, ANAYIZZ vise à: 1. Faire ressortir la contribution de la femme haïtienne dans le développement de sa communauté à travers les différents aspects de la vie sociale; 2. Faire circuler les éléments importants de la culture haïtienne (langue, coutumes, modes, musiques, peinture, mode de pensée,...) aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays; 3. Permettre la circulation et l'échange d'informations sur les femmes haïtiennes dans différents milieux où elles sont présentes; 4. Présenter aux jeunes du pays des modèles de personnalité féminine ».


Anayizz constituait une publication de Beaudor Communication parue en supplément dans Le quotidien Le Nouvelliste. https://lenouvelliste.com/article/37921/anayizz-la-revue-internationale-des-femmes-haitiennes


La réalité de nos jours


« Les médias féminins ne sont pas encore tout à fait installés dans l'inconscient collectif, on y va à petit pas et devra y arriver un jour. La population ne comprend pas encore le bien-fondé. Notre reconnaissance ne tombera pas du ciel », a dit Daniella Jacques de Dofen News. On reconnaît que les luttes féministes ont été jusqu’ici d’une grande contribution dans le combat pour l’amélioration des conditions socio-économiques des femmes, mais cela n’a pas empêché que beaucoup de femmes continuent d’être victimes dans la société haïtienne et refoulées systématiquement dans des positions inférieures, rappelle-t-elle. « L’audience féminine n’est pas utilisée à bon escient mais aussi (…) la plupart du temps les femmes journalistes se retrouvent journaliste culturel, présentatrice. Mais pas souvent patronne de média, analyste politique ou autre poste prestigieux », ajoute-t-elle.


Depuis 2010, le numérique a connu une mutation fulgurante en Haïti. Ce qui a vu la multiplication à outrance des médias en ligne mais également des gens qui se sont auto-appelés.es journalistes. Ce que l’auteur qualifie de bidonvilisation du secteur. Ce, le fait que la quantité ne marche pas de pair avec la qualité. Il a fallu attendre avril 2018 pour voir le lancement de Dofen News – qui est le premier média féminin en ligne en Haïti. De nos jours, les principaux journaux de femmes publient des articles en français – la langue peu parlée par la grande majorité des personnes dans le pays.


Des médias « new-âge »


« En Haïti, il y a très peu de média féminins et ceux qui existent ne font pas partie de la presse traditionnelle. Ce sont beaucoup plus les médias new-âge, les médias en ligne qui se donnent la mission d’être des médias féminins », a fait savoir la directrice de publication de Gran Jipon, Thara Layna Maruscheka Saint Hilaire. La voix des femmes, Ayiti Fanm, Anayizz, Dofen News, Mus’elles et Gran Jipon… Le constat est que les médias féminins en Haïti sont menés par des femmes et avec des femmes rédactrices. Les médias féminins qui sont encore debout en Haïti sont très récents. Il n’existerait que trois. Ce sont Dofen News, Mus’Elles et Gran Jipon. Ce sont essentiellement des médias en ligne. Deux ont pris naissance la même année. Cela sous-tend qu’avant – pendant un bon nombre de temps, il n’existait pas de médias féminins dans le pays.


Dofen News de Daniella Jacques


Dofen News est un journal quotidien dédié exclusivement aux femmes, fondé en décembre 2017 et lancé officiellement en avril de l’année suivante. La mission principale du journal est de « mettre la cause des femmes au cœur de l’actualité ». Il publie des informations sur tous les sujets d’intérêt public axés sur les femmes: politique, culture, économie, mode, sport, religion, santé, éducation, science, droit, entrepreneuriat féminin, international, famille, portrait, astuces, reportages vidéos et audio, etc. https://dofen.news/a-propos/. Il dit publier en quatre langues – qui sont le français, le créole, l’anglais et l’espagnol. Ce n’est pas encore le cas dans la réalité. Ses articles sont à présent uniquement en français. Lancé grâce à un financement externe, depuis un bon bout de temps, Dofen News connaît des hauts et des bas.


Mus’Elles de Jeanne-Elsa Chéry


« En mai 2017, à la suite d’une longue réflexion sur la représentation de la femme dans l’espace public, un groupe d’universitaires et de professionnel.le.s, particulièrement Jeanne-Elsa Chery l’initiatrice, a voulu mettre sur pied un projet qui s’engage à interroger la place de la production féminine dans nos sociétés contemporaines, particulièrement en Haïti. C’est ainsi que le projet Mus’Elles voit le jour. Une vitrine web de publication, de promotion, de mise en valeur et de diffusion des productions des femmes et des filles », lit-on sur le site de Mus’elles dans la section à propos. https://muselles.org/user-list/les-abonnes/about-us/


Gran Jipon de Thara Laina


« Gran Jipon » est un magazine féministe publié en ligne fondé en 2020 - par des jeunes femmes universitaires et activistes adeptes du féminisme. « Nou se Fanm. Nou se Feminis. Nous se Gran Jipon. Plim nou se Zam nou (Nous sommes des Femmes. Nous sommes féministes. Nous sommes des grands jupons. Notre plume est notre arme». Son objectif général est de permettre de voir le mouvement (féministe) sous des angles plus clairs en dehors des stéréotypes et des clichés dont il est victime. Le magazine fait partie d’une structure plus grande qui est l’organisation féministe Gran Jipon, confie sa directrice de publication, Thara Layna Maruscheka Saint-Hilaire.


« Tenant compte des différents défis auxquels est lié le féminisme en Haïti, il était convenu de lui créer une plateforme en ligne afin de vulgariser certaines informations qui pourront atténuer, ou dans le meilleur des cas, éradiquer les préjugés qu’il subit, et en même temps en ériger une nouvelle conception loin des discours stéréotypés pour la nouvelle génération. Ainsi, le magazine s’attribue une mission d’instruction et d’informations pour les adolescents et les jeunes adultes », lit-on sur leur site internet.


Il faut réinventer les médias féminins en Haïti!


Somme toute, sur plusieurs centaines de journaux, revues et médias en ligne – avoir uniquement trois médias féminins, c’est à déplorer. Ceci est le reflet de la société qui ne faire guère attention aux besoins des femmes. La grande majorité des personnes qui interviennent dans les médias haïtiens sont des hommes – autant que comme sujet, les femmes sont rarement au centre. Ce qui montre qu’il y a nécessité qu’il y ait beaucoup plus de médias féminins de qualité voire aussi que les sujets féminins méritent beaucoup plus de places dans les traitements. Également, les médias féminins ont besoin de modèles économiques plus solides. Les financements et appuis financiers d’institutions ne suffisent pas pour garantir une durabilité et assurer une viabilité certaine. C’est l’un des problèmes majeurs auxquels font face les médias féminins fragilisant du coup leur existence.


« Il faudrait créer des médias féminins spécialisés dans différents domaines. Ce serait un excellent moyen de donner la voix au chapitre à des femmes qui ont beaucoup de choses intéressantes à nous dire. Les médias féminins souffrent de ne pas être assez visibles dans un pays où le journalisme se limite à l'actualité politique menée par des hommes, des faits divers rocambolesques ou les matchs de l’équipe nationale, du Brésil, d'Argentine. C'est l'offre qui n'est pas diversifiée sur le plan national qui nous condamne d'une certaine manière aux oubliettes. C’est une réalité ! », soutient Daniella Jacques de Dofen News. « Donc faire un média, c’est coûteux ».


Pour plusieurs centaines de médias qui existent en Haïti, on ne compte qu’environ trois médias féminins fonctionnant en toute précarité, révèle une enquête menée par le journal d’information et d’investigation Enquet’Action. De 1804 à nos jours, ce pays de la Caraïbe n’a même pas connu dans son répertoire 10 médias à vocation féminine. https://ijnet.org/fr/story/médias-féminins-en-haïti-entre-pérennité-incertaine-et-passion-d’informer

Milo MILFORT


Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating

À la une

bottom of page