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Quand Lydia Pierre-Gilles éclaire notre lanterne avec « Ti Limyè sou Dwa »

La question du droit en Haïti est un sujet inaltérable. De la question de son fondement, à celle de son effectivité et ses manquements, le problème est complexe. On revendique tous les droits en Haïti : droit à un environnement sain, droit aux loisirs, droit à l’éducation, à la santé, à la nourriture, à la justice et à la protection sociale… comme si aucun d’entre eux n’existe pas. Pour Lydia Pierre-Gilles, la question fondamentale est de se demander si la population est consciente que chacun.e possède ces droits. C’est de la que surgisse son émission « Ti Limyè Sou Dwa ».



 

Née à Port-au-Prince à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), Lydia Pierre-Gilles a vécu sa petite enfance à Carrefour-feuilles. C’est dans ce quartier situé au sud de la capitale qu’elle a fait ses premiers pas à l’école où elle a été accueillie à Yapitou durant ses années de Jardin d’enfants et ses études primaires. Un peu plus tard, le collège Saint François d’Assise a pris le relai pour les études secondaires jusqu’en 2018. Lydia était âgée de 17 ans. 

 

En classe de secondaire, la jeune Lydia a été influencée par un professeur qui faisait tout le temps des ouvertures sur le droit. Celui-ci était, selon son ancienne élève, un étudiant en droit. Ses parenthèses sur le droit ont éveillé la curiosité de l’adolescente sur la matière. C’est là que Lydia a commencé à faire ses propres recherches sur cette discipline. Déjà en classe, elle s’accrochait aux lettres en ce qui concerne sa préférence par rapport aux matières enseignées. « J’aimais la littérature. En plus, par nature, j’aime faire la part des choses tout en étant intransigeante sur certains points », explique Lydia.

 

Ti limyè sou Dwa, une émission d’éducation populaire en pleine extension

 

On est en 2019. La covid-19 impose, à travers le monde, le confinement comme comportement. Pour beaucoup, il est devenu un mode vie. Pour d’autres, c’était un moyen de dialoguer avec soi-même, avec le monde et de sortir de sa zone de confort. Ainsi, Lydia Pierre-Gilles, pour casser le temps, a jugé bon de faire quelque chose d’utile à la communauté. C’est là que surgit l’idée de l’émission. Au départ, elle voulait seulement expliquer le droit comme concept. C’est au fur et à mesure que cette création de contenus se transforme en émission.

 

« J’ai choisi “Ti Limyè sou Dwa” comme nom de l’émission parce que c’est simple. C’est facile à comprendre n’importe où et pour n’importe qui », justifie Lydia Pierre-Gilles. De la période du confinement à 2024, l’animatrice de « Ti Limyè sou Dwa » explique que son émission prend de l’ampleur. Elle grandit. « Auparavant, j’étais seule. Maintenant, j’ai une équipe avec moi. Je présentais l’émission toute seule, maintenant je reçois des invités », explique-t-elle.

 

Si au début de l’aventure Lydia Pierre-Gilles devait se contenter de son téléphone et parfois de celui d’un ami pour filmer l’émission, aujourd’hui, elle compte sur un staff d’au moins cinq personnes. Graphiste, vidéaste et autres. Cette émission diffusée sur les réseaux sociaux, explique Lydia, se heurte, quelque part, au phénomène de la facilité que privilégie la grande foule sur le net. « Les gens seraient de moins en moins intéressés par les contenus de fond ».

 

Toutefois, l’enjeu est de trouver une stratégie de marketing pour faire audience sans compromettre les règles d’éthique et de déontologie », précise-t-elle. 

 

 

Une justice et des lois en français pour une population sans connaissance de ses droits

 

L’émission part d’un constat, c’est que la majorité de la population haïtienne ne connaît pas leurs droits, soutient la jeune Lydia. La présentatrice de « Ti Limyè sou dwa » parle d’une « ignorance juridique » pour mettre des mots sur le rapport entre la population haïtienne et la question du droit.

 

La juriste se demande toujours comment une population pourra-t-elle arriver à revendiquer ses droits si elle ne les connait même pas. Elle pense que le problème que pose le droit en rapport avec la justice en Haïti a aussi ses racines dans l’absence d’une éducation en la matière. « Nous avons une population qui majoritairement parle créole alors que les textes de loi ne sont pas dans leur langue maternelle », se préoccupe-t-elle. 

 

À comprendre que la question de la langue pose aussi de graves problèmes d’interprétation, la question devient beaucoup plus compliquée à mesure que les individus expriment leur méfiance face aux professionnels du droit. Lesquels professionnels sont les mieux placés pour placer le mot du droit. C’est une tendance que Lydia Pierre-Gilles vise à renverser à travers son émission. « Pour la majorité de la population, tous les avocats sont des voleurs, des raquetteurs », regrette Lydia Pierre-Gilles. 

 

À en croire la juriste, il est un non-sens de réduire à cette perception une personne passant au moins quatre années d’études pour s’exercer dans un domaine. C’est de là que surgit le deuxième objectif de son émission. « Je veux changer cette perception », envisage-t-elle, insistant sur le fait qu’il soit inconcevable que les gens ne comprennent ce qu’ils ont comme droit et ce qu’ont les gouvernants comme obligation envers les citoyens et citoyennes.

 

Lydia Pierre-Gilles conçoit son émission non seulement comme un espace d’éducation en matière de droit et de devoir, mais également comme un espace permettant de poser les problèmes du droit en Haïti. « Nous faisons des analyses permettant de comprendre ce qu’est le droit, l’État même du droit en Haïti. Je veux que grâce à mon émission les gens deviennent conscients de leurs conditions de vie. Ils diront que leur condition de vie n’est pas bonne. Ils ont le droit à l’éducation, le droit à la santé, à la nourriture… ce qui leur amènera à revendiquer de meilleures conditions de vie », projette la juriste.

 

Des textes de lois importées ?

 

Les préoccupations de Lydia Pierre-Gilles ne se basent pas uniquement sur le manque d’éducation populaire, les problèmes de l’interprétation et la question d’un droit exercé dans une langue étrangère à la grande population, elle insiste surtout sur le fait que les textes de loi ne sont pas adaptés à la réalité haïtienne. « Le Code civil haïtien est un code civil à la française. On ne fait pas un droit répondant aux problèmes juridiques du pays », se préoccupe-t-elle. Lydia croit qu’il est inconcevable de vouloir incessamment adapter des lois étrangères à la situation du pays.

 

Pour elle, il faut regarder la société avant de penser. « On ne peut pas se servir d’une loi d’un pays étranger pour résoudre le problème haïtien. Il faut une loi haïtienne », revendique-t-elle. Selon elle, cette démarche qui doit viser la mise en place d’un système juridique typiquement haïtien exige une analyse en professeur, un ensemble de recherche qui prend en compte tous les paramètres qui influencent le droit en Haïti.

 

Dans sa démarche, Lydia Pierre-Gilles voit le droit dans son aspect général. Elle reste réticente à l’idée de parler d’un droit spécifique puisque, selon elle, avant de parler du droit de la femme, des minorités et autres catégorie, il d’abord une question de droit de l’Homme. « Comment revendiquer le droit d’une catégorie dans une société qui ne reconnait pas les droits fondamentaux de l’individu ? », se demande la juriste en plaidant pour une politique publique embrassant les droits humains en Haïti. 


Jean Robert Bazile

Ce projet de contenun est soutenu par IFDD/OIF

 


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