En Haïti, le rapport entre le vodouisant et l’environnement se révèle profond et compliqué. Ce lien sacré parsemé de doutes, de mythes et de mystères présente quelque chose de particulier. Au-delà du « manger-boire », de la semence-récolte, de la contemplation et de l’inspiration qui proviennent de la nature, il y a la magie pratiquée dans l’eau et avec de l’eau, dans le feu et avec du feu, dans la terre avec des poussières de terre, dans la flore avec les feuilles et les arbres. Certains l’appellent « Wanga », d’autres — le mystère et d’autres encore préfèrent parler de services, de leçons, etc.
Ce qui fait que : terre, eau, air et feu constituant les quatre éléments prennent tout leur sens. « À mesure que l’on conserve le vodou, l’on conserve la nature et l’on conserve notre environnement. Sans environnement, il n'y a pas de vodou et sans vodou, il n'y a pas d’environnement. Sans l’être humain, il n’y a pas de cosmos et sans cosmos, l’être humain n’existe pas », a insisté Mambo Cousine en entrevue exclusive à Enquet’Action.
Reportage
« L’eau, c’est le premier élément dans le rythme. Pour entrer, il faut jeter de l’eau pour pouvoir trouver le passage. Avec cette eau, on trouve toute la fraîcheur et la sagesse qu’on a besoin et ça vous met sur la route », explique Mackendy Paul, un jeune hougan dans la vingtaine. Selon lui, la relation avec l’eau dans le vodou est spéciale parce qu’il existe des esprits qui y habitent. « Il existe des esprits habitant dans les eaux : sources, la mer, les étangs. Ils sont nombreux comme la sirène, la baleine, le Simbi, Grann et Maître Agoué. L’esprit est la plus grande force qui habite dans les eaux », avance-t-il.
En ce qui concerne l’arbre, il y a des lieux où ça représente un reposoir pour les loas ou du moins les esprits. Il y a des arbustes et arbres qui sont réclamés par des esprits. « Ils ont grandi avec cet esprit qui l’habite. Les enfants ne peuvent pas jouer avec et l’on ne peut pas les couper à cause de l’esprit », poursuit Marckendy, confirmant qu’il y a des arbres que les vodouisant protègent beaucoup plus que d’autres. « Il y a par exemple des sabliers, des figuiers, des trompettes et des Mapou. Il existe de superbes esprits qui les habitent. Par exemple, le mapou attire de l’eau là où il se trouve et il possède une grande énergie ».
À en croire les propos de Marckendy, dans le vodou, les esprits n’habitent pas seulement dans les arbres et les eaux. Ils sont dans les roches, dans les grottes, dans l’air. Le vodou serait cette pratique utilisant l’environnement dans tous ses composants. « Il y a aussi les roches qui peuvent servir de reposoir pour les loas. Certaines cavités servent de maisons pour les esprits. Et, il y a des esprits dans l’air ». Les initiés utilisent l’air aussi pour s’orienter dans leurs pratiques. Le feu représente le soleil, la vision et le chemin, à en croire des pratiquants du vodou interrogés par Enquet’Action.
… Une question de vie ou de mort ?
« Un jour, je suis allé sous une tonnelle, le connaisseur m’avait amené à faire une expérience. Il prend une feuille et frotte le pied d’une poule. Après trois jours, le pied commence à pourrir. Et là, il jette quelques gouttelettes d’une autre feuille pilée dans la gorge de la poule et elle est guérie. Le lendemain, il fait appliquer une autre feuille pilée dans la gorge de la poule, elle est morte immédiatement », explique Ougan Se Konsa , qui pense que l’activité est plutôt scientifique. « Il y a des poudres qui sont faites avec les feuilles, l’écorce des arbres. Ce sont les meilleurs. Ces poudres se servent pour envoûter et même tuer les gens », souligne Marckendy.
Affliger, tuer, guérir, attaquer et défendre, donner de la chance, faire exiler une personne ou la zombifier, la nature confère au vodouisant un énorme pouvoir. « Hougan se konsa », hougan Marckendy et le vodouisant J-Slack s’accordent sur le fait que des gens utilisent les arbres pour planter des esprits, amarrer sa femme ou son homme et faire exiler un adversaire. Ils utilisent des clous, des cordes, des chaises pour faire des degrés mystiques comme on le voit à « Souzabèt ». Selon Markendy, le bon Dieu a envoyé certains de ses esprits sur la terre pour notre utilité, mais on a souvent fait un mauvais usage d’eux. La terre a un grand rôle dans le vodou. On l’utilise pour faire du bien comme pour faire du mal, pour guérir ou pour tuer, chasser une famille, etc. D’après lui, avec une dose de poussière prélevée dans un carrefour, dans une boutique, sous la plante des pieds d’une personne, on peut tout faire. « Prendre une once de terre dans une église, une maison, un carrefour, c’est prendre l’âme même du milieu ».
Dans la pratique du vodou au rythme de la nature, ces éléments utilisés pour faire de la magie (l'envoûtement) peuvent être réutilisés pour la défaire. « On se sert de l’eau pour défaire certaines magies comme la poudre, le feu met la chaleur et partir à la recherche de ses esprits : ogou yeux rouges, ogou ferrailles », ajoute Markenzy, précisant que la question de coup de l’air (Kout lè) est réelle. « L’on utilise une bouteille ou un pot avec un mélange dedans. Inutile de le déposer par terre, il suffit de le déboucher en voyant la cible. Si l’on marche avec la bouteille débouchée, chaque personne rencontrée sera atteinte (tout moun ou kwaze ap pran kout lè) ».
Dans le vodou, on utilise les feuilles à des fins différentes, tout dépend de votre besoin. Si vous avez mal, si vous avez quelqu’un en prison, vous draguez une fille, vous en avez besoin. Certains l’utilisent pour faire des avortements de manière délibérée. Mais, certains peuvent l’utiliser aussi pour envoûter d’autres. Par exemple, on peut déposer trois feuilles discrètement quelque part, automatiquement qu’une femme enceinte la traverse, elle perd l’enfant qu’elle porte, explique Markendy, précisant que le mystère est de savoir quelle feuille cueillir et quoi faire avec. Mais aussi avec le tronc de l’arbre, il révèle qu’on peut mettre fin à l’existence ou la nuisance d’une personne. « On peut prendre une poupée, on écrit le nom d’une personne dessus ou du moins, coudre sa photo à l’intérieur, après l’avoir cloué dans l’arbre avec un degré et un clou spécial, la personne envoûtée sera anéantie ».
Clouer une personne, soit sa femme ou son homme dans un arbre, après trois jours la magie ne peut être défaite. Ça devient pour toujours. La femme ou l’homme ne pourra jamais vous quitter, prévient Markendy.
« Quelquefois, pour traiter une maladie à charge mystique, il faut avoir un arbre. Vous vous désenvoutez pour envoûter l’arbre en lui transférant la maladie », soutient J-Slack, jeune artiste et pratiquant du rythme vodou avant de souligner qu’à chaque esprit, sa vibration et sa plante. « Il y a une plante pour parfumer, vibrer chaque esprit qu’on veut invoquer dans le vodou. Même l’utilisation de l’encens qui est fait à base de plantes n’est pas simple ». Il n’existe pas de vodou sans la nature et encore moins, sans les plantes. « Certains vodouisants ont leurs jardins mystiques ».
Pour la protection de l’environnement
« Le vodou même c’est la nature. Le vodou puise de tout ce qui compose la nature pour fonctionner, pratiquer et admirer de jour en jour », affirme pour sa part Mambo Cousine. Elle fait appel à ses souvenirs. Les vodouisants en tant qu’êtres humains peuvent manquer de persévérance pour protéger l’environnement et rendre compte que dans le temps, on accordait beaucoup plus d’importance à la nature. On semait des plantes, plantait des arbres pour conserver l’environnement. Ils n’avaient pas l’habitude de salir leur environnement, ils protégeaient les arbres, la forêt afin de garder assez d’énergie pour fonctionner, a-t-elle rappelé. Une position partagée par le hougan Markendy, plaidant pour une responsabilité partagée en ce qui concerne le reboisement.
« En ce qui concerne un hougan, il devrait planter plusieurs. Car, il sait qu’il en a besoin pour servir et, après lui, il y aura d’autres qui auront besoin des arbres ». Du même souffle, Marckendy pense que certains hougan tuent des arbres alors qu’ils n’aiment pas planter. « Mais les hougans n’aiment pas planter des arbres parce qu’ils n’ont certaines fois pas d’assez d’espace (cas d’affermage) ou parce que les arbres prendront trop de temps pour grandir. C’est mal quand un hougan envoie des maladies sur les arbres, car ça tue. L’arbre qui absorbe la maladie va mourir. Il serait mieux d’utiliser les bêtes pour faire ce désenvoutement », dit-il.
De son côté, Mambo Cousine plaide pour une éducation au respect et à la protection de l’environnement, sans laquelle l’on rien ne changera. « Mais aujourd’hui, il y a une éducation défaillante qui ne fait pas la promotion de la protection de l’environnement. Il faut une éducation pour apprendre que le vodou est notre culture naturelle, qu’il faut le protéger afin de vivre entre 100 à 150 ans », recommande mambo Cousine. « Nous sommes l’univers. C’est notre corps qui, après avoir traversé, sert d’engrais pour la terre. L’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, l’arbre qui nous sert de reposoir, la mer pour nous alimenter en calcium… Nous devons protéger cet environnement qu’on épuise chaque jour sans rien payer en retour ».
Des accusations contre…
Par ailleurs, Mambo Cousine accuse les protestants et les catholiques qui, selon elle, participent à la déforestation en détruisant les arbres sous la base de leur croyance, profitant du silence de l’État. Parce que, selon eux, il y aurait des démons cachés dedans. « Les protestants et les catholiques détruisent les arbres alors que les vodouisants savent qu’il y a une vie dans les arbres et qu’il faut protéger… Ils détruisent les arbres pour faire du charbon, ils détruisent les forêts. C’est la déforestation. À cause de laquelle, aujourd’hui, nous sommes dans l’incapacité de nous offrir une part de santé ».
De son côté, le hougan Se konsa accuse l’État, le secteur privé qui s’accordent sur la destruction de l’environnement au profit des intérêts particuliers. « Si l’on protège la nature, les paysans vont continuer à planter et l’agriculture sera restaurée. L’on consommera les produits locaux pour notre bien-être et notre santé au détriment des produits importés. C’est pour cela qu’ils détruisent notre environnement », critique le prêtre vodou d’un air froid au fond de son péristyle.
« Le vodou, c’est planter, c’est cultiver. À un certain moment, les vodouisants possèdent leurs jardins mystiques. Ils aiment et protègent leur environnement avec des plantes possédant cette énergie. Il faut planter des arbres pour s’adapter et se connecter avec l’énergie de la terre », encourage le jeune J-Slack, pratiquant et artiste, s’installant dans son studio une cigarette à la main, expliquant avec passion, ses connaissances au sujet du vodou.
Pourtant, Markendy lance une critique. « Les hougans qui parlent au nom du vodou à la radio et dans les grands rassemblements parlent de leurs propres affaires. Ils ne défendent pas le vodou. Ils ne travaillent pas sur ce qui est important dans le vodou. Reboisements, protection des habitants et de leurs terres », martèle Marckendy, exposant les faiblesses de son cercle qui ne fait pas assez de promotion pour le reboisement et l’agriculture. « Par exemple, le ministre Zaka qui s’occupe de ces questions est un loas rejeté par les hougans des grandes villes sous prétexte que Zaka est un nègre en dehors ».
Le vodou, pratique culturelle ou religieuse, est considéré comme 100 % haïtien, dit-on. Les vodouisants sont d’une belle quantité dans le pays et d’une importance tellement centrale que pour certains, politiciens, religieux, policiers, hauts cadres, simples professionnels et même les étrangers ont tout le temps, à des fins différentes, recours aux cultes du vodou et à la magie noire. Ce vodou, sans lequel beaucoup n’existent pas, est mort sans la nature alors que cette nature voit toutes les couleurs du mal écologique. L’environnement est en voie de disparition dans le monde. Que ce soit en bien ou en mal, beaucoup vivent du vodou, par le vodou et pour le vodou. Entre augmenter les vodouisants pour accroître la lutte pour la protection de l’environnement et accroître la lutte pour protéger les vodouisants, l’enjeu est de taille. Si l’écosystème disparaît, il n’y aura plus de vodou, mais il n’y aura plus de personne.
Jean Robert Bazile
Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.
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