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La galère des enfants réfugiés de Tabarre, deux mois après la rentrée des classes

Le Lycée Jean Marie Vincent de Tabarre continue de faire office de centre d’hébergement pour 479 familles qui ont dû abandonner leurs maisons à cause du gang Kraze Baryè dirigé par Vitelhomme Innocent semant la terreur jour et nuit dans la commune. Parmi les 400 enfants sur place, seulement une vingtaine a déjà repris le chemin de l’école pour l’année académique 2023-2024.


Reportage


Il est 8h. Nous sommes au Lycée Jean Marie Vincent, situé dans la commune de Tabarre. L’Ambassade des États-Unis d’Amérique en Haïti n’est pas loin. Deux types de constructions, séparées par une petite barrière, occupent l’espace. Une poignée d’élèves en uniformes sont visibles dans les espaces formés de blocs. Parallèlement, la cour de l’autre espace fait de bois et de tôles, servant de camp de fortune aux 923 personnes réfugiées depuis fin juillet dernier, près de 200 enfants jouent aux billes, au foot et à la marelle en cette matinée de jeudi.


Un quotidien funeste pour Junior (nom d’emprunt), un adolescent de 16 ans qui n’a pas encore la possibilité de se rendre à l’école. « Bien que j’aie encore le souffle de vie, je ne vis pas. Comme tout enfant normal, je devrais être en classe en ce moment. Voilà que je me retrouve en train de faire du vélo », lance-t-il, larmes aux yeux. Junior et sa mère habitaient à Dumornay, quartier de Tabarre. Tout était déjà prêt pour l’année scolaire 2023-2024 en ce qui concerne l’actuel rescapé de guerre. « Je me souviens que le 19 juillet dernier, nous sommes allés chez le tailleur pour la confection des uniformes de mes petites sœurs et moi. 4 jours plus tard, on a couru sous les projectiles, abandonnant tout pour nous retrouver ici sans abris et affamés », nous raconte-t-il avec tristesse.


Pieds nus et non scolarisés


À quelques mètres de l’adolescent, Jocelyne Beaujour est assise devant une pile de vêtements sales et fait la lessive dans son coin. Cette commerçante de 25 ans résidait à Courtier, autre localité de la commune de Tabarre. Depuis juillet dernier, elle doit faire face dans ce camp de réfugiés.es à la famine et à l’incapacité d’envoyer ses deux filles à l’école. « Je vais très mal. Depuis hier, elles ont mangé un morceau de pain avec une tranche d’avocat. Je souffre de les voir rester ici toute une journée sans rien faire à écouter les propos malsains des personnes plus âgées. À leur âge, elles devraient être à l’école. Elles me demandent souvent quand pourront-elles y retourner », nous confie Jocelyne.


Dans ce camp de déplacés, les petits comme les grands ont la même routine : se lever, prendre une douche et se retrouver tous au même endroit pour une récréation à long terme. C’est ce que nous explique Marlène Hippolyte, mère de trois enfants. « Sur ce site, la majorité des enfants ne vont pas à l’école. Certains sont là avec les pieds nus et des habits déchirés. Avec quoi pourront-ils aller à l’école ? Pour mes enfants, je fais de mon mieux pour ne pas les laisser sales. Si je devais les envoyer à l’école, je ne sais pas avec quoi parce qu’on a tout perdu », explique la jeune mère.


Selon les données dont dispose le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), plus d’une centaine d’écoles ne peuvent pas reprendre leurs activités pour cette année académique lancée il y a deux mois. Plusieurs ont été pillées et/ou incendiées, 25 sont utilisées comme site d’hébergement, dont 68 % sont des écoles publiques occupées par les déplacés de Carrefour-Feuilles, de Tabarre. 3 mille 889 élèves et 294 enseignants sont enregistrés parmi les déplacés.


Le Lycée Jean Marie Vincent fait partie des rares établissements qui fonctionnent quoiqu’il abrite des déplacés.es de guerre. Ce qui n’est pas sans conséquence sur le confort des élèves. En effet, dans une salle de classe, plus de 70 élèves y sont installés. Certains restent debout et d’autres utilisent des morceaux de blocs en guise de chaises. Parmi eux se trouvent des refugiés.es qui n’ont ni uniformes, ni livres, ni cahiers, ni la tête à apprendre.


Au cœur des problèmes du site


En plus de l’incapacité à envoyer leurs enfants à l’école, les réfugiés.es font face à une surpopulation dans les salles de classe leur servant de chambres, loin de toute intimité. L’aide de la Mairie de Tabarre, la protection civile et de l’hôpital Fontaine de Cité Soleil ne suffisent pas. Les déplacés.es sont en perpétuelle prière quand la nuit se pointe vu que le pays est en pleine saison cyclonique. Les abris qu’ils/elles occupent ne peuvent pas supporter de fortes pluies. Une situation qui provoque des nuits sans sommeil. Quant au ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), il a envoyé un ensemble d’enquêteurs devant recenser le nombre d’élèves et de professeurs habitant le camp. Aucune nouvelle depuis, alors qu’ils ont promis d’apporter une solution.


Sherly Paul et Evens Cadet, qui dirigent le camp créé le 25 juillet dernier, sont dépassés par les évènements et se montrent inquiets pour les enfants qui risquent d’acquérir des comportements antisociaux.


En dépit de cette sombre réalité du camp Lycée Jean Marie Vincent, les habitants continuent de croire en un lendemain meilleur. Nombreux d’entre eux disent attendre le beau temps après la pluie. Pour eux, le vent d’espoir souffle encore, avec un peu de patience, Haïti retrouvera sa splendeur et la vie reviendra dans les nombreux territoires perdus. Mais en attendant d’en arriver là, ils/elles sont 963 qui occupent l’espace sans savoir quand ils/elles pourront regagner leurs maisons. Et dans l’intervalle, les élèves continuent de nourrir l’espoir de porter à nouveau des uniformes.


Marie Année Cadet

Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.


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