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Des espèces de lézards endémiques menacés au Parc Cacique Henri à Anse-à-Pitres

L’iguane rhinocéros et l’iguane de ricord sont deux espèces de lézards endémiques découvertes dans le Parc communal Cacique Henri d’Anse-à-Pitres, département du sud-est d’Haïti. Ils sont menacés en raison des activités liées à l’élevage libre, la déforestation, l’utilisation abusive du sol et la chasse humaine à des fins de vente voire de consommation.

Photo d'Iguane - Caméra monitoring


Pierre Michel Jean

Envoyé spécial à Anse-à-Pitres

En collaboration avec Milo Milfort

Pour Enquet’Action

 

 

Reportage

 

Le Parc communal naturel Cacique Henri est situé à la frontière sud d’Haïti avec la République dominicaine. Cet espace, compris entre Anse-à-Pitres (Haïti) et Pedernales (République dominicaine), a été déclaré aire protégée par arrêté des autorités municipales en mars 2014 en raison de son importance pour la biodiversité. On y trouve le cyclura cornuta (l’iguane rhinocéros) et le cyclura ricordi (l’iguane de ricord). « L’une a pour dénomination locale, “leza rikò” ou “leza miske”. L’autre, “leza akòn” », raconte René Jeune, t-shirt jaune, jean bleu délavé et valise rose au dos. Le technicien de terrain nous sert de guide à « Kasedan », localité d’Anse-à-Pitres où se trouve une partie du parc Cacique Henri.

 

« Ils sortent par là quand les œufs sont éclos sous la terre. Vous pouvez voir cinq à six lézards sortir du trou en même temps », nous montre-t-il à l’aide d’un bois perché dans une ancienne niche de ces espèces, constituée d’une myriade de petites branches d’arbres entrelacées. Cette scène pourrait n’être plus d’actualité dans quelque temps. En effet, l’iguane rhinocéros et l’iguane de ricord, deux espèces endémiques à l'île Quisqueya, sont menacés en Haïti. Ils font partie des neuf espèces d’iguanes recensées à travers le monde en 2017 par la Fondation Internationale des Iguanes. « Ça, c’est le fruit qu’ils consomment. C’est la partie intérieure qu’ils mangent. À l’intérieur, il y a d’innombrables petites graines », nous conte René en découpant le fruit en morceaux. « Il y a un gros iguane qui est passé par-là. Vous voyez la largeur de la trace laissée par la queue. Il est passé par là, puis repart, semble-t-il, vers cette zone-là », pointe-t-il de la main, essayant de retracer la trajectoire.

 

Le membre de l’équipe des conservateurs bénévoles du Parc communal naturel Cacique Henri est passionné par le déplacement des iguanes. Son téléphone et son marqueur spécial de couleur jaune l’aident à immortaliser les instants qu’ils considèrent comme uniques. « Le fait que les iguanes sont un peu rares, quand vous trouvez la trace d’une queue aussi grande, ce que vous ne trouvez pas facilement, vous êtes obligé de marquer le point afin de pouvoir vous souvenir exactement où vous l’aviez trouvé », relate René.


Un enclos d'animaux à l'intérieur du Parc Communal Cacique Henry. CP: Pierre Michel Jean/ EA


La forêt sèche d’Anse-à-Pitres, une richesse naturelle !

 

Le Parc communal naturel Cacique Henri est l’une des forêts sèches que possède Haïti. Pourtant, dans cet espace, le déboisement fait loi et laisse sur son passage un paysage délavé, affaibli et terrifiant. « Depuis la colonie [de Saint-Domingue], l’espace a toujours été une forêt sèche. Dans ces genres d’espaces, il y a une biodiversité biologique qui leur est propre. Cet habitat comporte d’autres espèces d’animaux, des plantes et des grottes assez amusants. Elles ont leur importance dans le milieu. Du fait que c’est une forêt sèche, il ne faut pas qu’il y ait de négligence portée à son égard », souligne Jean-Marry Exantus, docteur en écologie tropicale. Selon lui, plusieurs autres espèces d’animaux et de plantes, globalement menacées dans le pays, s’y retrouvent. « Il y a un palmier que j’ai observé à Anse-à-Pitres. Il y a des oiseaux endémiques considérés comme menacés que nous observons dans la forêt sèche. Une attention pareille serait d’une grande utilité. Ce sont nos richesses. Ce que nous avons comme espèces endémiques nous valorise, présentant le pays d’une autre façon à l’échelle mondiale », souligne-t-il.

 

Depuis quelques années, le Parc se retrouve sous les feux des projecteurs. Des naturalistes travaillant de concert avec des organisations de la République dominicaine ont fait des études sur la forêt. Également, la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL) ayant une collaboration scientifique avec l’ONG Caribaea Initiative — organisation internationale de protection de la nature dont l’action s’inscrit à l’échelle de l’ensemble de la Caraïbe — afin de pouvoir travailler sur l’axe concernant la biodiversité. C’est l’ensemble de ces travaux qui ont permis de mettre en lumière la présence de deux iguanes endémiques dans cette forêt sèche et la nécessité de les protéger.

 

Et dans ces démarches scientifiques enclenchées sur Anse-à-Pitres au niveau de la forêt, une attention particulière est accordée aux iguanes. Celle-ci passe par l’installation des caméras de surveillance, le suivi des populations d’iguanes et le repérage de leurs niches. « Il est vrai que c’est aux iguanes qu’on accorde toute cette importance, mais les visites de terrain faites sur Anse-à-Pitres me permettent de voir qu’il y a une quantité (importante) d’autres espèces, des oiseaux endémiques, d’autres espèces d’amphibiens retrouvés, des grottes, des crabes appelés crabes soldats, les crabes des cavernes retrouvés au niveau de la forêt », fait savoir le docteur Exantus.

 

En plus des visites liées à l’écologie et à la biodiversité, la forêt est fréquentée pour des raisons religieuses et culturelles. Sur l’espace, il y a une tombe dite mystique et une croix qui seraient installées par des francs-maçons pour des pratiques liées à la méditation, sans compter des gens qui descendent dans les grottes pour aller dormir et des agriculteurs utilisant la forêt pour faire l’élevage libre.

Le Parc Cacique Henri. CP : Pierre Michel Jean / EA


Une épée de Damoclès sur la tête de ces reptiles ?

 

À quelques kilomètres du Parc Cacique Henri, au centre-ville d’Anse-à-Pitres, des petits écoliers contemplent la sculpture en fer d’un lézard géant exposé dans l’espace de vente de Berthony Chéry, sculpteur de la ville. C’est un petit shop à ciel ouvert se trouvant au bord de la rue. Fleurs, animaux, et même des visages d’humains faits à la main sur du fer découpé y sont entreposées. « Je considère le lézard comme un monument historique. Il devrait représenter la commune d’Anse-à-Pitres. Partout. Mais, il y a des gens qui ne le voient pas du même œil que moi. Au contraire, ils les tuent pour les manger. Pendant que je construis, eux, ils détruisent », se plaint le sculpteur. « Une œuvre comme celle-ci, je ne devrais pas traverser en République dominicaine avec. Un monsieur vient juste de m’aborder. Nous sommes en pleine négociation. Je vais la lui donner pour qu’il la passe de l’autre côté. Là-bas, elle pourrait être mieux considérée », souligne Berthony tristement.

 

Si le sculpteur se sert de l’image des lézards comme source d’inspiration dans son travail, d’autres habitants d’Anse-à-Pitre les chassent. Sur place, nous avons rencontré Raoul, un ancien braconnier de lézards. En notre présence, il a conçu un piège pour pouvoir intercepter des lézards dans le recoin de roches. Une véritable démonstration bien ficelée. Un code amarré dans une roche plate est placé sur un trou. L’objectif, les capturer coûte que coûte. « C’est une bête qui m’intéresse beaucoup. On la récupère. Nous faisons des expériences avec. On la tue puis on la mange. Je ne peux contrôler le nombre de lézards que je capture dans des pièges. Il m’arrive de tuer pas moins de cinq lézards par jour. On peut les retenir à travers des codes et d’autres fois, on utilise des chiens instruits pour les chasser », explique-t-il.

 

Selon Raoul, cette activité sert de gagne-pain pour certaines personnes. « Un seul lézard récupéré peut valoir 2 000 à 2 500 gourdes. Si la personne peut se faire de l’argent dans ce business, il prend plaisir à le faire. Mais je ne cherche pas à prendre plaisir dans une telle initiative », nous confie Raoul. L’un des prétextes injustifiés considérés par les braconniers pour chasser les lézards, c’est que les iguanes mangeraient les chevreaux (petits cabris). Ils se présentent alors comme des régulateurs du phénomène concocté de toutes pièces.

 

Le déboisement à outrance est l’autre problématique à laquelle fait face la forêt sèche logeant le Parc à Kasedan. Au cours de notre visite, nous avons remarqué l’emplacement d’un large fourneau où il y a quelques mois on a produit du charbon de bois destiné à la vente notamment. « La coupe des arbres au Parc Cacique Henri a de gros impacts sur les lézards ou du moins ce que nous appelons les iguanes. La raison est simple, c’est parce qu’il y a de nombreux arbres que les producteurs de charbon coupent. Ce sont des arbres qui donnent des graines que les lézards mangent », a fait remarquer l’agent de terrain René Jeune.


Entre braconnage et le mur dominicain, les iguanes menacés en Haïti


Pour le professeur d’université Jean-Marry Exantus, on est en présence d’un véritable danger pour l’iguane rhinocéros et pour l’iguane de ricord qui vivent en Haïti. « Les nôtres sont menacées contrairement à celles de la République dominicaine où l’on peut cheminer dans les rues, et les voir fréquentant les lieux. En Haïti, les menaces sont énormes alors que ce ne sont pas des espèces que l’on retrouve dans les autres types de forêts que nous avons en Haïti », précise-t-il en rappelant qu’en ce qui concerne la biodiversité, chaque espèce animale ou végétale compte. L’importance devient de plus précieuse lorsqu’il s’agit d'espèces endémiques. « Des touristes viennent de loin pour observer ces espèces. Si elles s’éteignent, on ne les trouvera nulle part », fait savoir M. Exantus.

 

Et pour ne pas atteindre cette ligne rouge, on a créé un espace de jeux pour enfants au Parc privé Sadhana Forest, toujours à Anse-à-Pitres. « Pendant que les enfants jouent, nous pouvons les enseigner, comment aimer l’environnement, les encourager à planter des arbres, comment aimer et ne pas chasser les animaux de l’espace », nous explique Nixon Casséus, membre de l’équipe du Parc Sadhana Forest. Après avoir clôturé l’espace, deux lézards y sont retournés, nous dit-il. « Quand ils ont commencé à venir, ils se sont sentis à l’aise parce qu’on ne les chasse pas. Nous interdisons à tout le monde de les chasser, voire de leur lancer des pierres. Ainsi, ils commencent à se sentir à l’aise dans l’espace. Ils y viennent et y restent. Là où ils sont, ils commencent à se reproduire. Ils se sentent chez eux », explique Nixon Casséus.

 

Le responsable nous montre, sur son portable, la photo d’un lézard géant venant boire de l’eau. « Ça, c’est le premier grand lézard que nous avions eu. Il a donné naissance à des petits », ajoute-t-il, en nous exhibant par la suite des habitats de deux premiers gros lézards qui ont investi l’espace. « Aussitôt que les lézards sortent pour aller de l’autre côté, des personnes pourraient les prendre et manger. Mais on enseigne les gens sur l’importance des lézards dans l’environnement », nous fait-il savoir. C’est au nom de cet enseignement que l’espace pour enfant a été conçu. « C’est notre philosophie. Quand on enseigne l’enfant, tout petit, il pourra grandir avec cette même philosophie. Il est plus facile d’enseigner un enfant à ne pas faire quelque chose que de le faire pour un adulte qui a déjà dans le sang le vouloir de tuer la bête », précise M. Casséus.

Mur dominicain en construction du côté d'Anse-à-Pitres. CP: Pierre Michel Jean/ EA


Le mur dominicain, un véritable danger pour les lézards

 

La République dominicaine construit, depuis février 2022, un mur de pas moins de 160 km le long de la frontière avec Haïti. Ce projet, considéré comme controversé, vise, selon le président dominicain Luis Abinader (porteur du projet) à « contrôler l’immigration clandestine et le crime ». Les travaux coûteront 31 millions de dollars américains. Une partie de cette construction avance à grands pas sur la frontière d’Anse-à-Pitres avec la République voisine. Le mur en béton armé sur lequel sera posée une structure métallique sera haut de 3,90 mètres et épais de 20 centimètres. Il y aura l’armée et 70 tours de surveillance et de contrôle. Et ce mur n’est pas sans conséquences sur la vie des espèces en voie d’extinction.

 

Nous avons voyagé jusqu’aux tréfonds de la forêt sèche avec des guides les uns plus perspicaces que les autres. Ici, à Maletchipe, le paysage est désolant, le déboisement palpable. « Entre 2022 et 2023, dans cet espace, il y avait beaucoup de végétation. Il y avait beaucoup d’iguanes. Nous avions fait des recherches pour savoir s’ils ne passaient pas par là pour traverser en République dominicaine. Les dominicains ont construit un mur de leur côté de la frontière, coupant l’accès total… coupant toute possibilité que les lézards sortent d’ici pour aller là-bas », affirme René Jeune, agent de terrain.

 

Le mur rend impossible tout va-et-vient des lézards des deux côtés de l'île. Il y a des espèces se retrouvant sur l'île entière dont la population diminue en Haïti alors qu’elle se trouve en quantité importante en République dominicaine. Avec l’achèvement total du mur, la situation risque d’empirer, selon plusieurs intervenants interrogés. « Il y aura de fortes pressions sur la population des lézards du côté haïtien. Après un certain nombre d’années, on dira que ces espèces se sont éteintes du côté haïtien, mais on pourra les trouver de l’autre côté », laisse entendre l’expert Jean-Marry Exantus. « Puisqu’il s’agit d’une frontière, si vous laissez Anse-à-Pitres pour aller là-bas, vous verrez que c’est la continuité de la forêt sèche. Vous trouverez des espèces qui quittent Haïti pour la République dominicaine. Vice-versa », ajoute-t-il.

 

Le mur va stopper ces genres de déplacements qui se font au sol. « Après des années, il y aura un niveau de différenciation génétique entre la population haïtienne et dominicaine. Il n’y aura aucune interaction entre les deux sous-populations », alerte le professeur Exantus, soulignant que les dominicains progressent dans la conservation biologique. Selon lui, un bilan sur les espèces partagées entre les deux pays montrera que la situation est plus critique en Haïti qu’en République dominicaine. « Vous trouverez deux sous-populations. Les informations vous diront que la population est plus nombreuse en République dominicaine qu’en Haïti et que les menaces sont moindres en République dominicaine qu’en Haïti », prévient le docteur en écologie tropicale soulignant qu’un éveil doit être fait du côté haïtien pour sauver le patrimoine biologique.

 

Avec ce mur en construction, les habitudes de chasse à outrance et de destruction systématique des habits de ces espèces peuvent aboutir à la disparition de ces deux espèces de lézards, souligne l’expert. « Oui, ça peut arriver. Ça s’est déjà répété. Il y a des espèces qui étaient sur l'île entière. Au moment où l’on parle, on retrouve que la quantité de celle-ci retrouvée en Haïti est moindre que celles trouvées en République dominicaine alors que ces espèces étaient distribuées sur tout le territoire. Cela est arrivé chez des oiseaux et un ensemble d’espèces », informe M. Exantus.

 

À noter qu’à côté de la chasse, l’élevage libre, les œufs que les gens consomment, empêche à l’espèce de se multiplier. Production de fourrage, déplacer les troupeaux d’animaux, mettre des gardes forestiers, donner d’autres moyens de survies aux populations, former les gens afin de guider les touristes sur le terrain, donner des activités pouvant réduire la pression sur les populations et l’éducation pour que la population ne prenne pas ces animaux comme ennemis. Telles sont, entre autres, les recommandations faites par l’expert. Il estime qu’il est urgent que des projets soient mis sur pied pour accompagner les agriculteurs. 

Parc Communal Cacique Henry. CP : Pierre Michel Jean/ EA

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