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En Haïti, la médecine légale n’existe plus

L’Institut médico-légal (IML), l’unique institution qui est chargée de faire des autopsies à mettre au service de la justice en Haïti est tombé en dysfonctionnement total depuis près de deux ans. Donc, Haïti fonctionne sans médecine légale alors que les cas d’assassinats et meurtres suspects se multiplient.



Enquete


En Haïti, en matière criminelle et d’homicide, pour que la justice puisse investiguer correctement et prendre une décision objective, il lui est impossible d’y parvenir sans une investigation médico-légale. Ainsi, c’est ce laboratoire qui étudie les indices trouvés afin de fournir des informations à la justice. Ce qui fait que la question médico-légale constitue un outil essentiel à la justice. « La justice pénale ne peut pas fonctionner sans la médecine légale. Sinon, quel que soit le criminel appréhendé, vous serez obligé de le relâcher, si vous n’avez pas des informations claires quand vous arrivez devant la justice pour prouver que la personne non seulement est morte, mais c’est cette personne qui l’a tué », a fait savoir Jean Armel Demorcy, directeur de l’Institut en entrevue à Enquet’Action. Pourtant, une telle institution a cessé d’exister dans la réalité depuis près de deux ans dans l’indifférence totale des autorités de l’État.


« En 20 ans d’autopsie régulière, la justice ne m’a jamais appelé pour me demander ce que j’ai trouvé comme résultats », a déclaré Demorcy. Le spécialiste de médecine légale n’a été sollicité que pour un procès depuis la création de l’institut. Et, ce n’était pas la justice haïtienne qui avait établi les contacts, mais plutôt des organisations de femmes. Pour environ 11 millions d’Haïtiens vivant en Haïti, il n’existe que deux médecins légistes. L’un vit dans le pays tandis que l’autre fait le va-et-vient entre Haïti et les États-Unis après avoir échappé à une tentative d’enlèvement. Si une personne est morte dans une ville de province où à la campagne, il faut l’amener vers la capitale pour faire l’autopsie. Ce qui n’est plus d’actualité puisque l’Institut Médico-Légal n’est plus.


En 20 ans, l’IML a réalisé entre 2 à 3 mille autopsies. Le dernier cas emblématique traité par la structure avant de tomber en dysfonctionnement fut l’autopsie de l’ancien président Jovenel Moïse, assassiné en sa résidence privée en juillet 2021. Depuis lors, l’institut ne fonctionne plus. Soit depuis près de deux ans. « C’est vrai que l'institut Médico-Légal était-là, mais la justice n’a jamais véritablement l’utiliser. Car, 80 à 90 % des autopsies réalisées ne sont nullement liées à un quelconque intérêt de la Justice, mais plutôt des gens de la population qui effectuent des démarches dans la justice pour pouvoir faire des autopsies », à en croire le docteur Demorcy. « Mais ce n’étaient pas des demandes venant des juges relatifs à un dossier de justice ».


Un outil fondamental pour la justice


La société est un peu en avance dans cette question par rapport à l’État. Il est rare qu’un Parquet au travers d’un juge d’instruction exige de faire une autopsie dans le cadre d’une enquête qu’il mène, critique l’expert. « Donc, c’est surtout la population sur lequel il a un gros impact. Car il existe beaucoup de cas de morts suspectes. Les gens vous appellent, mais ne peuvent trouver la réponse qu’il faut », avance le docteur Jean Armel Demorcy. Pour le spécialiste, c’est le règne de l’impunité puisqu’il est impossible de donner aux gens des explications. Cela crée des frustrations dans les familles et cela traduit un dysfonctionnement total de la justice qui ne peut jouer son rôle, pense-t-il. Pourtant, selon la loi haïtienne, dans tout cas de mort suspecte ou de mort violente, on est obligé de faire une autopsie pour déterminer les causes et les circonstances qui l’entourent. Déjà dans l’imaginaire collectif haïtien : tous les morts sont suspectes, aucune mort n’est naturelle. Un outil comme l’Institut médico-légal (IML) pourrait être important pour combattre cette façon de penser en Haïti.


« On ne doit pas enterrer quelqu’un victime d’une mort suspecte ou de mort violente sans qu’une autopsie ne soit réalisée », a fait savoir le docteur Demorcy. Il qualifie de violation flagrante de la loi, l’écrasante majorité des cas des personnes victimes de morts suspectes ou violentes inhumées sans aucune autopsie. « Cela veut dire que l’État n’existe pas. C’est l’une des occasions qu’à l’État de pouvoir se manifester. Ce, afin de garantir l’ordre social. Sinon, c’est le règne de l’impunité. C’est le règne de règlements de compte », regrette-t-il.


Pas de labo, pas de personnels, pas de matériels et pas de budget, la médecine légale en Haïti s’effondre. Les conséquences de son inexistence sont les enquêtes qui se poursuivent indéfiniment et la détention préventive prolongée qui domine le système judiciaire haïtien depuis au moins deux décennies. De 2002 à nos jours, à peine deux employés ont été nommés. Un Secrétaire et un administrateur. Le reste du personnel technique attendu pour faire fonctionner l’institut médico-légal n’est jamais une préoccupation de l’État. Le dernier fonds que l’IML a reçu du ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP), c’était en 2021. « De 2002 à nos jours, l’institut Médico-légal n’a jamais constitué une préoccupation de l’État. Il parvenait à fonctionner grâce au premier groupe de matériels livrés qui ont progressivement détérioré et qui n’est jamais renouvelé », nous fait savoir Jean Armel Demorcy, expert en médecine légale.


Institut totalement dysfonctionnel


En 2012, on a doté l’organe d’investigation criminelle d’un cadre légal via un décret le plaçant sous la responsabilité du ministère de la Justice devant assurer son fonctionnement. Selon le document officiel, le MJSP devait la doter d’équipements et le ministère de Santé publique, également organisme de tutelle de la structure, devait nommer son personnel. Malgré les demandes faites pour renouveler le personnel, cela n’a jamais été fait. « Nous ne faisons plus d’autopsie. Nous sommes totalement dysfonctionnels. Nous ne pouvons réaliser actuellement aucune expertise », affirme Armel Demorcy. Selon lui, cela est arrivé parce que la justice n’est pas une préoccupation de l’État. « Aussi simple que ça », croit le Professeur à l’École Nationale de la Magistrature (ENAM) qui forme les juges. Le hic, le ministère de la Justice ne parvient jamais à mettre l’Institut Médico-Légal sous budget et jusqu’en 2021, elle offrait le minimum comme le nettoyage, les matériels de bureau. « N’en parlons pas pour la question de matériels et d’équipements. Il n’y a pas cela », informe-t-il.


C’est impossible de réaliser la moindre radiographie, élément essentiel dans la grande majorité des autopsies. « Nous ne pouvons plus le faire. Le ministère de la Justice n’a jamais renouvelé notre stock de matériel. Idem pour le personnel qui n’est jamais renouvelé. Le rôle de l’Institut n’est pas uniquement de faire des expertises, mais également de former des gens voire d’autres médecins légistes afin d’assurer la relève », nous confie le docteur Demorcy. Le ministère de la Santé n’est pas intéressé à donner du personnel à l’Institut. La grande partie du personnel qui assurait sa bonne marche a quitté le pays à cause des problèmes sociopolitiques. Certains en ont profité des différents programmes d’émigration laissant au point mort la médecine légale, un organe vital et une partie importante de la justice haïtienne.


Milo Milfort


Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.


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