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Haiti : Pour qui est le Nouvel An ? Qui contrôle le Nouvel An ?

Depuis environ 10 ans, nous parlons de développement durable. Élimination de la faim, éradication de la pauvreté, éducation de qualité, santé pour tous, égalité entre les sexes, etc. Tous les objectifs de développement durable doivent contribuer à l’amélioration des conditions matérielles d’existence du citoyen lambda. C’est cette histoire à dormir debout qu’il faut continuer à raconter aux Haïtiens les plus vulnérables en 2024. C’est aussi ce sur quoi repose l’espoir que les meilleurs des souhaits qu’on fait depuis des décennies peuvent, un jour, être accomplis puisque la nouvelle année serait porteuse de grands prodiges. Mais, qui contrôle le Nouvel An ?




31 décembre 2023, à deux doigts de la disparition d’une année, j’ai jeté un œil sur ce texte de Jean Ziegler, « l’empire de la honte ». En sirotant chaque phrase de l’introduction comme un bon vin qui pétille dans mes veines, je sentais quelque chose en moi qui se déplace. Cette partie qui part à la rencontre du monde affrontait 2023, cette année de honte. Et je pense à tous ces gens qui avaient honte de souhaiter un joyeux Noël et auront ce même sentiment devant les souhaits du Nouvel An. J’ai affronté péniblement la honte des générations d’hommes et de femmes […] 


Ces Haïtiens et Haïtiennes qui ont été forcés.es de ravaler leur fierté, maudire la terre des ancêtres et partir loin d’ici. Ce sont des gens arrachés de leur vie, de leur amour pour être ensuite martyrisés, brutalisés, rapatriés. Ils connaissent l’exclusion, le racisme, la violence, la honte. Ce scandale a été dénoncé par Ziegler dans son texte, les réfugiés de la faim. Il accuse les pays de l’Union européenne qui ont organisé la faim et la misère en Afrique, puis criminalisé ceux et celles qui les fuient. En Haïti, le tableau est encore plus triste.


Cette mère qui ne peut pas retenir ses larmes dans la cour d’un établissement scolaire parce que les responsables lui demandent de retourner avec ses trois enfants. Ces parents impuissants devant la misère de leurs enfants qui meurent de faim. Ces jeunes qui ont peur de dire leur âge. En réalité, ce n’est pas de la peur, mais de la honte pour toutes ces années perdues sans rien réaliser. Ce garçon fuyant les regards de sa mère dans un camp de fortune. La pauvre sans abris a été chassée par un gang armé en Haïti. Comment dire à ces gens que 2024 sera meilleur alors qu’ils savent qu’ils n’ont jamais eu de Nouvel An ? Ils n’ont ni le soleil, ni le bleu du ciel, ni de la mer, ni de fleurs, encore moins de sourire.


Haïti s’est engagé à poursuivre et à respecter l’agenda de 2030, mais ne s’attaque nullement aux problèmes de base qui tenaillent ses enfants. En 2023, une enquête du Gouvernement a révélé que plus de 80 % de la population ne savent même pas ce que peuvent bien vouloir dire les Objectifs de Développement Durable (ODD). Plus de la moitié de la population ne croit pas aux politiques proposées et par conséquent, n’a aucun espoir dans un avenir meilleur. Ce pays ne se contente pas d’être un pays de l’insécurité, il est devenu l’insécurité elle-même. Personne ne pourra parler de développement durable sans parler de développement endogène. Ce dernier traduit la mise en commun de toutes les ressources d’un territoire pour penser et faire le développement.


Mais en Haïti, on détruit les richesses matérielles. Le pays est privé des grandes technologies. Quant aux ressources humaines, on tue les gens : journalistes, étudiant.es, professeur.es, élèves, enfants et même des bébés. On tue les policier.es, on tue les petit.es commercant.es. On a même tué le dernier président. On a décidé de repartir les hatien.es à travers le monde. Question de renforcer la main-d’œuvre du marché mondial et tuer les initiatives collectives voulant partir à la reconquête de la liberté. 


Mais de quel développement parle-t-on dans cette société vidée d’elle-même ? Ce pays où l’on ne reconnaît au citoyen lambda, aucun droit de se penser, de penser son avenir et son pays ? Aussi solidaire et bienveillant que l’on puisse être, comment envisager des souhaits pour des gens qui ne vivent pas ? Quels souhaits envisager pour des gens qui n’ont pas le droit de rêver ? Ces Haïtiens et Haïtiennes qui ne peuvent faire aucun projet, aucun pari sur l’avenir, quels souhaits arriveront-ils/elles à réaliser sous le ciel des maîtres du monde ? 


Si le développement durable traduit la mise en œuvre d’un ensemble d’actions en vue d’améliorer les conditions matérielles d’existence des générations présentes tout en pensant à l'avenir des générations futures, en Haïti c’est le contraire. La faim se multiplie. La misère est greffée. Pas de santé. Pas de droit à l’éducation. Pas de démocratie. Seule l’insécurité est sécurisée. La corruption est institutionnalisée et tous les efforts pour accomplir les ODD semblent paradoxalement contribuer à stabiliser l’instabilité. 

Souhaiter aux haïtien.es d’avoir, un jour, le droit de faire leurs propres souhaits.


Jean Robert Bazile

Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.


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