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Lekòl Kominotè Matènwa, une école d’exception ?

L’École Communautaire de Mare Terre noire serait unique en Haïti. Ses innovations tant au niveau éducatif que communautaire en font un établissement de référence. Lekòl Kominotè Matènwa (LKM) est plus qu’une école fonctionnant en deux vacations, c’est un projet ambitieux bousculant les acquis, connaissances et pratiques sociales dominant le système éducatif haïtien. LKM remet tout le système en question.


Reportage


Il est huit heures. On est lundi matin. À l’entrée principale de l’école ­­­­déjà remplie d’élèves, de professeurs, de cadres administratifs et de parents impatients pour la rentrée, un petit garçon tient dans sa main une coquille communément appelée « Lambi » et siffle dedans, de toutes ses forces.


C’est le signal annonçant la rentrée. Ils ne se pressent pas, mais rejoignent leur salle de classe en respectant la discipline sur laquelle on ne lésine pas. On est à LKM — Lekòl Kominotè Matènwa (École Communautaire de Matènwa, en français), affectueusement appelée ainsi par tous et toutes. Logée dans les tréfonds de la commune d’Anse-à-Galets, l’une des deux communes partageant l’île de la Gonâve, l’institution respire au rythme de cette région depuis 1996. Priorisant l’égalité des chances et croyant indubitablement dans le slogan « école pour tous », elle offre un cadre éducatif que l’on ne voit nulle part ailleurs en Haïti.


Dans les rondes d’entrée, les activités ludiques, les formations des membres de la communauté et des parents des élèves, sur la cour comme dans les salles voire partout et en tout… le créole est roi.


L’enseignement, les livres et les cours sont dispensés dans la langue maternelle des apprenants. C’est ce qui fait l’unicité de l’établissement qui bannit l’usage du fouet, les punitions et le renvoi pour non-paiement de scolarité. « Lorsqu’on nous enseigne en créole, c’est plus facile [d’appréhender les notions]. On comprend bien mieux quand on nous explique les matières dans notre langue », confie allègrement Junelson Louissaint, 19 ans, élève de secondaire 2 (Classe de Seconde).


Le créole et LKM : Une véritable histoire d’amour !


« Lorsque l’enfant apprend dans sa langue maternelle, il lit très bien et possède l’art de parler. Mais lorsqu’il est enseigné dans une langue étrangère ou seconde, il rencontre souvent des difficultés pour trouver les mots pour s’exprimer », renchérit Gypso André, quadragénaire, directeur adjoint au niveau des classes secondaires et professeur de la 6e année, rencontré dans sa classe durant la recréation.


Du préscolaire jusqu’à la 3e année fondamentale, l’enseignement se fait essentiellement en créole, cependant les autres langues comme l’anglais, l’espagnol ainsi que le français y sont également enseignées. Malgré l’enseignement de ces langues étrangères, le créole continue d’occuper une place importante au sein de l’établissement. « Les élèves produisent beaucoup plus lorsqu’ils sont enseignés dans leur langue maternelle », constate celui qui est professeur à l’établissement depuis tantôt six ans.


Généralement dans l’enseignement en Haïti, le créole est une langue marginalisée. Nombreuses sont les écoles qui interdisent aux élèves de le parler sous peine de sanction. Jusqu’à présent, on utilise le « symbole » dans certaines écoles. Une pratique désocialisant voire humiliante pour celui ou celle qui ose prononcer un mot en créole. « Exprimez-vous », répètent souvent des responsables d’établissement aux élèves qui parlent le créole en salle de classe ou sur la cour de récréation. Pourtant, seulement 3 % de la population haïtienne parvient véritablement à bien parler et à bien écrire la langue française, révèle un article publié en 2018 par le linguiste haïtien Michel Anne-Frederic DeGraff conjointement avec Glenda S. Stump.


Pourtant, on contraint les enfants à étudier dans cette langue malgré son incompréhension et sa non-maitrise par la grande majorité. Ce que l’éducateur Yves Dejean appelle « Yon lekòl tèt anba, nan yon peyi tèt anba » (une école à l’envers dans un pays à l’envers) selon le titre de l’un de ses ouvrages dénonçant la situation.


Le créole au cœur de la marginalisation de LKM


L’adoption du créole dans l’apprentissage au sein de l’établissement a réduit le fossé existant entre la relation élèves/parents et élèves/enseignants. Le créole crée un rapport d’égalité en brisant les discriminations.


« Si toutes les écoles haïtiennes décident d’enseigner aux élèves dans la langue créole, le premier fruit que l’on récoltera c’est une prise de conscience collective. En outre, du respect et une diminution de la corruption dans le pays », opine le directeur de l’institution, Abner Sauveur. Au niveau des examens officiels, l’établissement enregistre généralement un taux de réussite très élevé avec des élèves qui figurent parmi les premiers lauréats de l’île de la Gonâve.


Au départ, la tâche n’était pas facile pour l’établissement qui était vu comme un danger pour la communauté. « On se demandait s’il fallait faire une école seulement pour Matènwa ou pour toute l’île. C’était là notre plus grande difficulté, le problème de la langue qui ne concernait pas seulement ceux venant de LKM, confie-t-il, d’un air à la fois triste et confiant. Mais, c’était devenu une difficulté également pour les autres écoles qui considéraient nos élèves comme des marginalisés. Des gens de bas niveau. On nous appelait souvent “lekòl kreyòl” (école créole) ».


Ici, les élèves — filles et garçons — produisent des ouvrages de qualité, sont formés dans un métier manuel, en musique et en sport — mais aussi en jardinage. Un curriculum qu’on ne voit pas ailleurs.


Les élèves ont un niveau très avancé et arrivent à lire et à écrire parfaitement. Leur performance dépasse largement celle des autres élèves qui étudient dans la langue française, c’est du moins ce que révèle une étude menée par le chercheur haïtien Michel Anne-Frédéric DeGraff, grand défenseur de la langue créole à travers le monde. « Un élève en 3e année du cycle fondamental de Lekòl Kominotè Matènwa a, en moyenne, la capacité de lire 60 mots par minute alors que ceux des autres établissements arrivent à lire seulement 23 mots par minute », soutient le rapport d’étude.


Il est 13 heures dans toutes les horloges. Le sifflement du lambi à une troisième reprise annonce le renvoi des classes pour la section primaire, mais aussi la rentrée de celles du secondaire. Les élèves de la section fondamentale — majoritairement des enfants — le visage épuisé, quittent les salles de classe pour rejoindre la cour, puis la sortie avec, dans la bouche, le créole, la langue qui les unit et les places sur le même pied d’égalité.

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