Fenzie Jean est l’une de ceux et celles qui sont préoccupés par la dégradation du système de santé haïtien. Se battre pour changer la donne, c’est un rêve qu’elle caresse depuis sa plus tendre enfance. Aujourd’hui, elle est devenue médecin généraliste avec une spécialisation en santé publique et plus précisément, en promotion de la santé. Elle dirige une entreprise médicobien-être offrant des services de consultation en massothérapie, esthétique corporelle et soins capillaires. Son combat est fondé sur la promotion et la prévention.
Reportage
Avant de devenir une spécialiste en Santé publique, pôle - promotion de la santé, Fenzie Jean a vécu sa petite enfance à Christ-Roi, quartier de Port-au-Prince. Elle était encore en classe préparatoire au collège Saint-Louis de Bourdon quand le professeur interrogeait les élèves sur leur plus grand rêve. « J’ai dit que je veux devenir médecin pour empêcher les gens de tomber malades. Le professeur a essayé de me corriger en disant que j’aurais voulu être médecin pour guérir les malades. J’ai insisté pour dire que non. Je veux être médecin pour que les gens arrêtent de tomber malades », se rappelle la native de La Victoire, dans le département du nord.
À l’époque, la petite Fenzie ne pouvait pas encore mesurer la valeur et le poids de ce qu’elle visait. Mais elle ne laissait cependant pas, aucune chance aux autres d’enlever sa vision du monde ni dévier son rêve. Après avoir terminé avec ses études classiques, elle a postulé au concours d’entrée de la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP) de l’Université d’État d’Haïti (UEH), mais elle n’a pas été retenue. « Malgré cela, je n’ai pas choisi l’Université Notre-Dame en raison d’une polémique qu’il y avait à l’époque entre elle et l’UEH, surtout sur la question de la reconnaissance des diplômes », explique Dre Fenzie à Enquet’Action.
La spécialiste en promotion de la santé nous raconte qu’elle a réussi le concours d’entrée de l’Université Notre-Dame d’alors, mais elle a refusé d’y aller puisqu’elle voulait étudier dans la meilleure université du pays. Elle ne voulait pas trancher sur son choix d’entrer à l’UEH et a décidé d’aller à l’École Normale supérieure (ENS) comme auditrice en vue de mieux se préparer en physique pour le concours de la médecine. « Mon père a vu tous ces sacrifices, il est intervenu et a décidé de m’envoyer en République dominicaine pour faire mes études en médecine », fait-elle savoir.
Après ses études en République dominicaine, elle est revenue en Haïti en tant que médecin généraliste. Elle a prêté ses services sociaux à un centre de santé privé. Mais par la suite, elle allait investir l’espace de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) pour une expérience très particulière. « Étant donné que j’ai toujours rêvé de faire une spécialité dans la médecine interne, j’ai demandé trois mois de stage à l’hôpital général en vue de préparer le concours d’entrée dans la médecine interne », raconte Dre Jean, soulignant qu’elle envisageait cette expérience dans le but de rencontrer les médecins qui ont réussi le concours et savoir comment ça fonctionne.
« C’est à ce moment que mon rêve d’enfance d’œuvrer afin que les personnes ne tombent pas malades commençait par me hanter. C’était le déclic ! », confie-t-elle. Durant ses trois mois à l’HUEH, c’était vraiment pénible de voir la situation de l’hôpital et comment les patients.tes sont acceuillis.es et comment ils/elles sont morts à cause des détails minimes, de base à l’intérieur de l’hôpital, se plaint-elle. « De là, j’ai compris que je pouvais accomplir mon rêve. J’ai vu que c’est dans la santé publique que je devais faire cette spécialisation ».
L’épineuse situation du plus grand centre hospitalier de Port-au-Prince a aiguisé ses désirs de lutter pour prévenir les cas où des individus malades sont laissés sans soins dans des hôpitaux non équipés. De là, elle s’oriente vers la Santé publique pour sa spécialisation. « Cette étude m’a amenée vers une spécialisation dans la promotion de la santé. Sensibilisation, prévention, changement de comportement en vue d’éviter certaines maladies », explique la spécialiste, soulignant puisqu’il y a des maladies qui sont évitables, contrôlables. Selon la Dre Fenzie Jean, on peut épargner les gens de certaines situations leur demandant de se rendre dans un hôpital qui n’a pas assez de ressources pour servir les patients dignement.
Tableau sombre du système de santé haïtien
Dre Fenzie Jean voit le système de santé haïtien comme un système défaillant et incapable de donner des résultats. Selon la spécialiste en santé publique, l’image la plus fidèle de ce système en désuétude est l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) communément appelé l’hôpital général. « La première photographie qui me frappe l’esprit quand vous parlez de système de santé haïtien, c’est l’hôpital général. J’ai ignoré ce qu’il y avait vraiment du système de santé haïtien jusqu’à mon arrivée à cet hôpital pour une expérience de moins de trois mois. C’est là que j’ai été le plus choquée par rapport au système santé en Haïti », lâche la femme médecin.
Noir, sombre, inquiétant, sont, selon elle, les mots à mettre sur les maux du système de santé haïtien. Elle croit que le changement n’est pas pour demain. « En arrivant à l’hôpital général, un hôpital universitaire, le plus haut niveau du pays, son fonctionnement donne l’image d’un système de santé précaire, fragile qu’il faut prendre très au sérieux », a-t-elle témoigné.
Cet hôpital tant décrié pour les actes de corruptions et de mauvaise gestion est connu dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince comme un précipice pour les malades. Si les médecins sont souvent soupçonnés d’en être partie prenante, le témoigne de Dre Fenzie Jean laisse pourtant entrevoir un autre angle. « Lors de mon passage à l’hôpital de l’université d’État d’Haïti, j’ai vu des médecins et infirmières se cassant la tête pour sauver leurs patients », affirme l’ancienne stagiaire de l’hôpital.
Elle se rappelle avoir été témoin des cas beaucoup plus sensibles et plus urgents que d’autres ou médecins et infirmières faisaient des collectes entre eux pour sauver un patient. Ils ont même, certaines fois, utilisé les médicaments d’un patient pour sauver un autre en attendant que sa famille se débrouille, ajoute Mme Jean, déplorant le fait que certaines fois les médecins sont livrés à eux-mêmes.
Dr Fenzie avoue qu’il accusait à maintes reprises les travailleurs et travailleuses du système d’être complices d’une structure funèbre incapable de remplir son rôle. C’est là qu’elle ressentait encore une fois le besoin de s’écarter des services de soins de peur d’être complice à son tour. « Mais en réalité, je voulais m’éloigner de ce qui me tracasse le plus : regarder les gens mourir pour rien, vraiment pour rien… », reconnait celle qui évolue dans la massothérapie, voyant ces genres de situation comme un accroc aux droits à la santé des gens.
Si elle s’éloigne du pôle des soins, c’est pour aller vers la promotion de la santé, une manière d’apporter des conseils, des stratégies, des actions préventives, des sensibilisations dans la communauté de nature à éviter ces genres de situations en attendant la restructuration du système et la disponibilité des moyens. Selon Dre Fenzie, pour avoir un bon système de santé, il ne s’agit pas seulement d’avoir l’espace, les services et les spécialistes, il faut mettre l’accent sur l’éducation, la prévention et la promotion de la santé de façon à éviter certains cas puisque, il y a de nombreux cas qu’on trouve dans les hôpitaux que les gens pourraient éviter s’ils étaient éduqués et sensibilisés.
« Source de santé » comme espace et moyens de lutte ?
Ayant toujours aimé l’entrepreneuriat, elle a créé sa propre clinique pour prêter des services à la communauté. Selon ses dires, Dre Fenzie a, au commencement, mis le focus sur des maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension artérielle qui, à ses yeux, sont liés à des problèmes de santé publique. Elle accueillait des patients.es qui devaient, à l’époque, se rendre jusqu’à Mirebalais pour se faire soigner. « Nous les avons offerts les médicaments gratuitement puisque nous les avons reçus par don », dit-elle.
Avec le temps, la vision s’alourdit et Source de Santé (SOSA) allait grandir. Si au début elle était considérée comme une clinique médicosociale, aujourd’hui, sa propriétaire la voit comme une entreprise médicobienêtre. Grâce à sa formation en massothérapie, elle a pu ajouter le massage comme vecteur du bienêtre. « Dans cette nouvelle perspective, je suis devenue beaucoup plus à l’aise de voir comment avec le massage, nous pouvons accompagner les gens et modifier leur vision concernant le bien-être », précise la directrice générale de SOSA.
À Source de Santé, l’objectif raconté par la fondatrice est d’enlever l’idée selon laquelle le massage serait un service de luxe. « Ils ne le voyaient pas comme des soins à part entière. Ils ne savaient pas qu’on pouvait demander un massage pour soulager les douleurs, la fatigue, le stress, les arthrites et arthroses, la constipation… », révèle la responsable précisant que le massage comme soin holistique aide beaucoup les gens et réduit les risques d’effets secondaires des médicaments, surtout avec les usages abusifs.
« Le massage a des effets sur tout l’organisme », avance la massothérapeute. Elle explique qu’au système nerveux, il réduit le stress, l’anxiété et lutte contre l’insomnie. Dans le système cardiovasculaire, il facilite la circulation sanguine pour plus d’oxygène. Dans le système digestif, le massage agit sur la constipation et libère les gaz carboniques. Il agit sur les muscles en réduisant les douleurs, le relâchement musculaire. Il permet le renforcement du système de défense en éliminant les toxines. Dans le système respiratoire à travers l’aromathérapie.
« Depuis l’antiquité avant Jésus-Christ, on pratiquait le massage », contextualise-t-elle. Quand les gladiateurs devaient se préparer au combat, on les administrait un massage vigoureux, énergisant et après la bataille, on les donnait un massage relaxant pour les calmer, leur donner du repos en agissant sur leur contraction et la fatigue, élabore Dre Fenzie Jean, précisant que la massothérapie est une thérapie qu’on fait avec les mains, certaines fois on applique des huiles essentielles, des arômes permettant, à travers les touchers, la manipulation des tissus de donner un niveau de relaxation et d’établir un niveau de bien-être inégalable.
Selon elle, Source de Santé ne se contente pas d’administrer toutes sortes de massage aux gens. Elle organise des journées portes ouvertes, des foires de bien-être en vue de faciliter la connaissance et l’accès aux services. Mais le massage n’est pas le seul à pouvoir procurer du bien-être aux gens. Dans ce complexe de bienêtre, ils offrent des soins d’esthétiques corporelles où les gens peuvent envisager un remodelage de leurs corps. Il y a des soins du visage pour ceux et celles qui réclament un meilleur traitement de leur peau en combattant les taches noires, les boutons et les acnés y compris les soins capillaires.
Toujours pour faciliter l’accès aux soins et services de bien-être et pour continuer à vulgariser les informations liées à la question, la responsable développe un pôle de formation à l’intérieur de Source de Santé ou les gens peuvent se former en massothérapie, en soins et esthétiques corporelles. Ceux et celles qui prennent des formations en massothérapie reçoivent des diplômés de l’École de Massothérapie du Québec dans le cadre d’un partenariat avec cette institution canadienne, précise-t-elle. « L’objectif est de former des professionnels qualifiés et compétents afin de permettre à beaucoup plus de gens d’avoir accès aux soins de bien-être ».
Vers un club de bien-être
Les consultations générales et les soins de bien-être greffés des initiatives communautaires comme clinique mobile, foire de bien-être et journées portes ouvertes n’ont pas été suffisants pour réaliser les objectifs de Dr Fenzie Jean. Elle a conçu des émissions de promotions et de préventions en matière de santé. Parmi elles, elle cite « Décision », la dernière en date, mais qui a été stoppé à cause de la situation du pays. Elle avoue avoir conçu une nouvelle émission du nom de « libérer », laquelle n’est pas encore lancée.
Toujours dans son élan, la vision de la spécialiste s’étend jusqu’à envisager un club de bien-être. « Trois ans de cela, j’ai enregistré un autre nom. Club de bien-être. Parce que j’ai vu beaucoup plus large la vision de source de santé », explique-t-elle. Un club de bienêtre est pour la responsable de SOSA, un espace de rencontre et d’échanges entre les prestataires des services de bien-être et les membres de la population. « Je vois Source de Santé comme un club de bien-être où beaucoup plus de gens pourront devenir membres et bénéficier beaucoup plus de services à cause de leurs statuts de membres », ajoute la massothérapeute, précisant que tous les professionnels.les dans le domaine voulant desservir d’autres personnes pourront trouver un espace approprié en tant que partenaires.
Mais cette fois ce club devra être représenté sur tout le territoire du pays et certains pays étrangers. Tout le monde pourra demander des services et soins liés au bien-être à un prix dérisoire dans n’importe centre du club avec une carte. « Nous visualisons un espace verdoyant dans la belle nature, avec de l’eau comme un lac. C’est un espace qui nous met vraiment en contact avec la nature », envisage-t-elle. Mais, elle pense que ce projet est loin d’être concrétisé au regard de la situation du pays. « À ce moment, il est vraiment difficile de trouver des espaces surs, des investisseurs et surtout des terrains sans litiges ».
Le niveau de bien-être envisagé par Dre Fenzie peut être matérialisé par un club. Cet espace attirant et attrayant. « On peut venir avec sa famille pour se détendre, prendre un massage en plein air, faire un tour à bord du lac », rassure-t-elle.
Jean Robert Bazile
Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.
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