Alors qu’Haïti lutte dans l’ombre d’une crise sans précédent, une question troublante se pose : les établissements d’enseignement du pays agissent-ils en réparateurs de politiciens malhonnêtes, louches et corrompus, tout en abandonnant leur rôle de guide vers un avenir meilleur ?
L’exemple récent de la Promotion Gérard Gourgue de la Faculté de Droit et des Sciences économiques (FDSE) de l’Université d’État d’Haïti (UEH), honorant le Premier ministre Ariel Henry, le dimanche 13 août 2023, soulève des doutes quant à la responsabilité sociale de ces institutions face à un pays en déroute. Alors que dans les rues résonnent les échos du banditisme, de l’insécurité alimentaire et des déplacements massifs dus à l’insécurité, il est temps de se demander : pourquoi les écoles haïtiennes persistent-elles à encenser ceux qui ont contribué à cette descente aux enfers ?
Au milieu d’une nation en plein naufrage, les établissements d’enseignement en Haïti semblent paradoxalement jouer un rôle douteux en réhabilitant des politiciens malhonnêtes, corrompus et dépourvus de scrupules. Les récents événements, tels qu’une plaque en l’honneur au Dr Ariel Henry par la Promotion Gérard Gourgue de la FDSE de l’UEH, soulèvent des questions cruciales sur l’intégrité de ces institutions et leur impact sur le pays en proie à une crise sans précédent
Du dimanche 13 au lundi 14 août 2023, Carrefour Feuilles, situé en banlieue de Port-au-Prince est passé à l’alerte « Orange » selon Positivis. Le code orange signale des risques importants de pertes en vie humaine et de dommages collatéraux lors d’affrontements.
Le triste état actuel d’Haïti est évident : le banditisme règne en maître, l’insécurité est endémique, les enlèvements sont monnaie courante, l’insécurité alimentaire sévit, la migration interne s’intensifie et les écoles ferment leurs portes par crainte pour la sécurité des élèves. Dans ce contexte, il est alarmant de constater que des établissements éducatifs continuent de célébrer des politiciens controversés, les élevant au rang de modèles pour les générations futures.
Le 24 février 2023, au cœur de la ville des Gonaïves, s’est déroulée la cérémonie de remise des diplômes de la promotion 2018-2022 Martial Lavaud Célestin de l’École de Droit et des Sciences économiques des Gonaïves (EDSEG). Au cours de cet événement solennel, l’ancien ministre des Affaires étrangères et ancien Premier ministre, Claude Joseph, a été présent en tant que parrain de la promotion.
De même, en 2020, l’ancien Président Michel Joseph Martelly (2016-2021) tombé sous le poids de sanctions du Canada pour ses liens avec des activités criminelles en novembre 2022 a été choisi pour parrainer une promotion d’un ancien et important établissement scolaire public, en l’occurrence le Lycée Alexandre Pétion. Cela soulève des questions sur les valeurs que ces institutions cherchent à promouvoir.
Le Conseil exécutif de l’Université d’État d’Haïti (CEUEH) a exprimé une condamnation catégorique envers la présence de l’ancien dictateur et « président à vie », Jean-Claude Duvalier (1971-1986), en tant qu’« invité d’honneur », lors de la cérémonie de remise de diplômes de la promotion de finissants de l’École de Droit et des Sciences économiques des Gonaïves (EDSEG) de 2011, dans un article d’AlterPresse publié par Le Nouvelliste.
Le recteur de l’UEH à cette époque, Jean Vernet Henry, signataire d’une lettre, datée du 19 décembre de la même année, adressée à la Direction de l’École, souligne que l’implication de ce personnage à une telle cérémonie est « tout à fait inconcevable pour une école de Droit ». Dans ce contexte, la direction de l’EDSEG a été convoquée devant le Conseil Exécutif pour le 28 décembre à 11 h, selon la lettre émise par le CEUEH. Il est à noter que l’ex-dictateur a agi en tant que « parrain de promotion » lors de la cérémonie de remise de diplômes de la promotion sortante de l’EDSEG, qui s’est tenue à Gonaïves le 16 décembre.
Face aux récents événements de la Promotion Gérard Gourgue, une question cruciale se pose : que dirait Fritz Deshommes, recteur depuis 2016, sur ce geste et son impact sur l’intégrité et les valeurs de notre institution éducative ?
L’urgence de la situation actuelle requiert une réflexion profonde sur le rôle et la responsabilité des établissements éducatifs dans la construction d’un avenir meilleur pour Haïti. Plutôt que de célébrer des politiciens compromis, ces institutions devraient s’engager activement dans la promotion de l’intégrité, de la transparence et de la responsabilité au sein du gouvernement et de la société en général. Il est grand temps que les écoles haïtiennes reprennent leur rôle de guide vers la prospérité et la stabilité, en éduquant les jeunes générations sur les valeurs fondamentales de la démocratie, de la justice et de l’éthique politique. L’avenir d’Haïti dépend de la manière dont ces établissements façonnent les esprits des leaders de demain et contribuent à briser le cycle de la corruption qui continue de plonger le pays dans une situation désastreuse sans précédent.
Il convient de mentionner que le vendredi 4 août 2023, Jean Edler Guillaume, le Commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince, a adressé une communication à la ministre de la Justice, Mme Emmelie Prophète Milcé. Cette communication visait à exprimer l’intérêt du Juge instructeur Walter W. Voltaire à interroger le Premier ministre Ariel Henry et d’autres membres de son gouvernement en qualité de témoins. Cette démarche s’inscrit dans le contexte du dossier relatif à l’assassinat au pouvoir de l’ancien Président Jovenel Moïse (2017-2022) le 7 juillet 2021.
Entre-temps, le PM continue inlassablement d’accumuler des voyages, participant à une pléthore de sommets internationaux, de colloques de haut niveau et de rencontres diplomatiques. Alors que les défis internes s’aggravent et que les besoins criants de la population haïtienne demeurent sans réponse, l’attention portée par le titulaire de la Primature à la scène internationale soulève des questions quant à ses priorités et à son engagement envers son propre peuple. Loin des préoccupations quotidiennes qui touchent directement les citoyens, ces déplacements répétés laissent planer le doute sur l’efficacité de la gestion gouvernementale et sur la capacité du gouvernement à se concentrer sur les urgences nationales.
Alors que nous rédigeons cette tribune le 14 août 2023 qui rappelle la commémoration des 232 ans de la cérémonie du « Bwa Kay Iman », il est impossible de ne pas ressentir le poids de l’histoire qui pèse sur les épaules de notre nation. En ces temps troublés, où les établissements d’enseignement semblent perpétuer la réhabilitation de politiciens contestés malgré les défis cruciaux auxquels le pays est confronté, nous sommes en droit de nous interroger : à quand donc la nouvelle révolution haïtienne ? Une révolution qui ne serait pas seulement une lutte armée, mais aussi une révolution de la conscience, de l’intégrité et du refus catégorique de la perpétuation de la corruption.
Woo-Jerry Mathurin
Bravo mon ami