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Non-reconnaissance de certaines universités et problématique de la régulation de l'enseignement supérieur en Haïti

En 2018, 25 000 étudiants haïtiens fréquentaient des institutions d’enseignement supérieur non reconnues. Des étudiants.es (et leurs parents) gaspillant leur avoir et leur temps à la conquête d’un diplôme qui ne sera pas reconnu par l’État.




Si pas moins de 178 institutions d’enseignement supérieur sont reconnues, au moins une centaine d’autres ont leur dossier encore à l’étude chez l’instance de régulation qui est la Direction de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (DESRS) sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) et au moins une centaine d’autres ne sont pas reconnues et n’ont aucun dossier à l’étude. Certains parlent de massification de l’enseignement supérieur en Haïti. Ce qui a une connotation positive par rapport à la problématique de l’accès. D’autres sont plutôt catégoriques en parlant de préférence de massification anarchique de l’offre de l’enseignement supérieur. 


Cependant, notre enquête nous permet de préférence de parler de borletisation de l’enseignement supérieur avec des universités qui poussent comme des champignons par-ci et par-là - sans aucune norme de qualité et de respect des principes académiques dans un contexte où l’institution régulatrice actuelle se révèle impuissante. 



Reportage



Samedi, 10 h. Nous nous lançons à l’avenue Christophe vers une quête inédite. Liste en main, nous nous sommes donné comme mission phare de débusquer les universités non reconnues par le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), que ce soit sur les affiches, les banderoles, que ce soit sur les publicités murales ou en vérifiant la présence effective. L’avenue Christophe et ses rues adjacentes logent d’innombrables écoles classiques, instituts de langues, écoles professionnelles et universités accueillant des centaines voire des milliers d’élèves et d’étudiants. Donc, c’est l’artère idéale pour se faire connaître au travers de publicités murales, même si l’institution ne se trouve pas à proximité. L’avenue Christophe serait la rue en Haïti qui comporte le plus grand nombre d'universités. Ce qui lui vaudrait bien le nom d’Avenue des Universités. Pas moins de trois facultés publiques s’y trouvent quasi côte à côte. Plus d’une vingtaine d’autres privées sont logées tout autour de cette avenue. 


Peu de monde dans les rues ce jour-là. Les marchands.es ne sont pas aussi nombreux.ses. Les universitaires non plus. Depuis 2018, avec la détérioration de la crise sécuritaire, et, durant un certain temps, sanitaire, l’avenue Christophe n’est plus ce qu’elle était dans le passé : une rue bondée d’élèves et d’universitaires aux heures de pointe. Dès 5 heures de l’après-midi, elle se vide de ses occupants.es qui s’empressent de gagner leur demeure. 


Notre enquête nous a permis de trouver des éléments visuels d’environ 10 Universités qui n’existent pas sur la liste des institutions d’enseignement supérieur reconnues publiée en 2023 par le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) à travers la Direction de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (DESRS).



Publicités mensongères …


Majoritairement, ces institutions non reconnues repérées offrent des programmes en Sciences administratives, en gestion et en sciences comptables voire en sciences infirmières. L’une des techniques utilisées pour s’offrir des étudiants.es est l’offre de bourses d’études en veux-tu en voilà, constate Enquet’Action. Certaines de ces institutions se disent reconnues par le MENFP, mais ne figurent nulle part sur la liste officielle publiée en 2023. Nous avons décidé de continuer l’enquête sur Facebook, l’un des réseaux sociaux les plus utilisés par les Haitiens.nes. La situation est pire. Là, liste officielle en main, nous avons trouvé d’innombrables institutions d’Enseignement supérieur (IES) non reconnues. 


Nous avons décidé de poursuivre notre investigation sur une ville pas trop loin de la capitale. Il s’agit de Léogâne, localisée à environ 20 km au sud de Port-au-Prince. Dans cette ville, on a repéré au moins une dizaine d’universités et de facultés qui ne sont pas reconnues. Dans le département de l’Ouest qui comprend un tiers de la population, la région métropolitaine autant que les villes adjacentes regorgent d’établissements d’enseignement supérieur non reconnus ou non autorisés à fonctionner qui pourtant reçoivent des centaines d’étudiantes et d’étudiants. 


Autre constat : du jour au lendemain, des écoles professionnelles se sont transformées en Universités. On retrouve des espaces sans infrastructures dignes de ce nom hébergeant dans la matinée une école, et dans l’après-midi et en week-end une université. Il y a des institutions qui sont à cheval entre école professionnelle et université. Donc, impossible de les situer. Elles offrent majoritairement des études professionnelles - mais au moins une option universitaire. Sur le terrain, il est possible de trouver des espaces logeant à la fois une école classique, une école professionnelle et une université.


Des Institutions d’Enseignement supérieur (IES) non reconnues se vantent même d’avoir des partenariats avec des universités canadiennes, ou américaines. Cela est mis à profit dans leurs stratégies de marketing pour drainer des étudiants.es friand.es des opportunités d’étudier à l’étranger. On trouve aussi des offres de subventions, de bourses. « Nous offrons à nos étudiants et étudiantes une possibilité de voyage et de maitrise au Canada », écrit par exemple un établissement sur sa page Facebook. Cette Université ne figure même pas sur la liste des institutions accréditées par le MENFP. Dire qu’on est reconnu par le MENFP alors que ce n’est nullement le cas, est un mensonge qui se répète, constate Enquet’Action. Il est à se demander s’il y a une liste ou une partie de la liste officielle que le MENFP garde secrète. 




« Borletisation » de l’enseignement supérieur en Haïti


Il est plus difficile de mettre sur pied un dépôt de charbon que de lancer une université en Haïti, confie un observateur voulant garder l’anonymat. Pour ouvrir un dépôt de charbon, il faut se doter d’un capital économique, d’un espace adéquat, de fournisseurs de charbon, payer des bandits pour faciliter le passage, payer d’autres qui contrôlent le territoire perdu où se trouve le dépôt, etc. Des étapes pour le moins difficiles. Pour l’Université, une page Facebook suffit pour se lancer. D’ailleurs, on a repéré des universités offrant des formations 100 % en ligne. « Jodi a Leta Ayisyen toutouni fas a inivèsite ki nan chanm kay k ap ofri diplòm ki pa rekonèt okenn kote [Aujourd’hui, L’État haïtien se trouve à nu par rapport aux universités qui fonctionnent dans des petits espaces, des petites pièces et qui offrent des diplômes non reconnus à ceux et celles qui les fréquentent] », avait écrit Nesmy Manigat, actuel Ministre de l’Éducation, le 16 décembre 2019, date marquant le 59e anniversaire de la signature, par le dictateur François Duvalier, du décret créant l’Université d’État. Il a fait cette publication sur Facebook en vue de challenger les sénateurs pour les encourager à voter le projet de loi de 170 articles sur la modernisation de l’Enseignement supérieur qu’il a déposé au Parlement depuis 2014. 


« (…) Diplômes non homologués, perte de temps… Cela est dû à la faible emprise, à la faible capacité de l’État de réguler ce niveau d’enseignement, tout comme les niveaux inférieurs », souligne le professeur d’université Paul Antoine Bien-Aimé à Enquet’Action.


Cette situation, l’instance de régulation l’admet sans langue de bois. « Nous savons que par rapport aux Institutions d’Enseignement supérieur (IES) reconnues - celles existantes se révèlent être une quantité énorme. C’est une quantité énorme par rapport aux 178 reconnues. Donc, parler d’universités existantes est tout à fait différent d’évoquer celles qui sont reconnues », laisse entendre Jean Judson Joseph, le responsable de la Direction de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (DESRS) installé en février 2023. Sous la tutelle du MENFP, c’est l’instance étatique s’occupant de l’enseignement supérieur en Haïti. « Certaines ne sont pas encore reconnues - mais existent et ont leur dossier à l’étude chez nous. Mais il y en a qui n’ont aucun dossier à l’étude. D’autres n’ont pas de dossier— parce que nous ne recevons plus de dossiers depuis mars 2023 », continue le spécialiste en Management des organisations d’éducation et de formation.


« Depuis l’année dernière, il y a une circulaire qu’on a publiée. Nous nous sommes dit qu’il fallait freiner cette question. Trop d’institutions par-ci et par-là. Donc, le MENFP ne reçoit aucune nouvelle demande depuis mars 2023 », persiste et signe le docteur en Sciences humaines et sociales. Le responsable refuse d’opiner sur les universités non reconnues. Les étudiants des institutions non accréditées s’exposent au fait de ne pas pouvoir obtenir de papier officiel de l’État haïtien. Quand le diplôme est sorti — il faut qu’il soit légalisé. Donc, il ne sera pas légalisé, explique le responsable exposant par la suite certaines des conséquences désastreuses de cette situation. Il y a ces situations où des gens, même pour pouvoir trouver un emploi en Haïti, fournissent leur papier et, après vérification, on trouve que le papier n’est pas légalisé. Il n’est pas accepté. « Il y en a qui vont poursuivre leurs études à l’étranger — arrivés là-bas, ils ne peuvent le faire parce que le diplôme n’est pas reconnu ».


La superficie d’Haïti officiellement est de 27 750 km2. Comparons-la avec la superficie de cinq pays africains sensiblement de même taille. Considérons le nombre d’établissements supérieurs qu’il y a dans ces pays pour les comparer. Par exemple, prenons le cas du Lesotho pays de l’Afrique australe enclavée dans le territoire de l’Afrique du Sud avec 30 355 km2 ; de La Guinée Équatoriale 28 051 km2 ; du Burundi 27 834 km2 ; Rwanda 26 338 km2 et de Djibouti 23 200 km2. « Quand on compare ces pays ayant presque la même superficie que celle de notre pays. Haïti est le pays comportant le plus d’établissements d’enseignement supérieur par habitant par rapport à eux. Il y a le poids du nombre en Haïti. Il semble qu’en Haïti, c’est l’un des business que les gens créent plus facilement. Il faut que l’État mette des balises pour qu’au départ il y ait des normes de qualité minimales qui soient respectées », plaide Josemar St-Victor, spécialiste en Orientation scolaire et professionnelle (ainsi qu’en Éducation internationale). 


« Disons prudemment que le chiffre officiel de 178 institutions d’enseignement supérieur (IES) reconnues constituerait le tiers du nombre réel d’établissements supérieurs [existant véritablement] », poursuit le membre de l’American Psychological Association (APA). « Si l’on prend tous les établissements d’enseignement supérieur existant dans le pays, c’est un peu diffus. Il y a un ensemble d’établissements qui ne sont pas vraiment des établissements d’enseignement supérieur. Ce sont en réalité des établissements postsecondaires de formation technique avancée, qui ne dispensent pas une formation universitaire entre guillemets », pense M. St-Victor en entrevue exclusive à Enquet’Action. 


« L’État doit travailler pour hisser les établissements d’enseignement supérieur vers le haut. Donc, ceux qui font des efforts, il s’agirait de les aider à faire plus d’efforts afin que ceux qui sont en bas puissent les suivre », plaide le spécialiste. Si l’on met un dispositif national d’orientation professionnelle et d’orientation postsecondaire, l’État aura l’obligation de labelliser des établissements en vue de la réussite des jeunes. « Il faut qu’il y ait une répartition territoriale. (…) L’État haïtien doit harmoniser le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche », encourage M. Victor. Selon lui « la  massification sans normes, c’est la médiocrité ». En Haïti, il y a la massification par le fait que beaucoup plus de gens y ont accès, car auparavant il était beaucoup plus difficile d’accéder à l’université. Aussi, il y avait moins d’établissements… « Vin gen plis etablisman pou plis moun. Ce qui crée un marché, c'est le marché de l’enseignement supérieur.


D’abord, il y a massification en termes d’étudiants. Il y a aussi massification en termes d'offres au niveau des établissements d’enseignement supérieur. Pour la massification du côté des étudiants, il faut un dispositif national d’orientation avant et après le bac. Se pa tout moun ki al nan Inivèsite ki oblije al nan inivèsite. Nous avons une vision très française. Pas la France d’aujourd’hui, qui se bat contre cette tendance. Mais la France du 19ème et du 20ème  siècle », critique Josemar St-Victor. 


Enquet’Action constate que d’innombrables étudiants et étudiantes qui fréquentent les institutions d’enseignement supérieur non reconnues l’ignorent totalement. 


Une instance de régulation impuissante


La Direction de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (DESRS), qui est jusqu’à présent l’instance de régulation du système, avoue son impuissance face à cette situation pour le moins problématique. « Légalement, la DESRS n’a pas de moyens politiques pour freiner un ensemble de dérives nécessitant de grandes décisions à prendre. Moyens politiques - c'est en termes de management/de gestion - en termes de gouvernance même du secteur - la DESRS n’a pas les moyens légaux », admet Jean Judson Joseph, son responsable. Acceptant de faire une autocritique, il admet sans broncher que cette direction n’est jamais de toute son histoire parvenue à jouer véritablement son rôle de contrôle et de surveillance de l’enseignement supérieur en Haïti. « Non, on ne l’a pas encore fait. On n’est pas encore parvenus jusque-là », confirme-t-il. « Dès qu’on finit de donner une autorisation à une institution pour pouvoir fonctionner, nous n’avons aucun contrôle sur le fonctionnement académique. C’est pourquoi on ne légalise pas les relevés de notes parce qu’on ne sait pas comment se font les examens dans les Institutions d’Enseignement supérieur », informe-t-il. 


D’ailleurs, la DESRS ne dispose même pas assez de ressources humaines. L’instance comporte seulement une dizaine d’employés. Elle n’a pas un budget qui lui est propre et dépend donc du budget du MENFP. « Il n’y a pas un budget lié à la DESRS spécifiquement. Si on fait une activité, on fait une réquisition. Nous n’avons pas de moyens [suffisants] », se plaint le responsable. La seule exigence pour le renouvellement après cinq ans de l’autorisation est le plan de développement donnant l’idée de perspectives sur les cinq prochaines années. Donc, pas de suivi et évaluation encore moins d’enquête de terrain. « Nous jouerons très peu notre rôle », reconnaît-il. L’institution de toute son histoire n’a jamais retiré une autorisation de fonctionnement après cinq ans au moment du renouvellement. « Cela ne s’est pas encore produit. Parce qu’au moment du renouvellement, s’il y a un problème - on l’accompagne afin de pouvoir le résoudre. Si g on bagay li te di l ap fè l e li pa fè l, nous l’accompagnons afin de résoudre le problème. Parce que fermer une institution comportant beaucoup d’étudiants… Mais il est plus facile de l’accompagner afin d’atteindre le niveau souhaité », fait savoir M. Joseph. 


La DESRS ne jure que par la réalisation du recensement général en vue d’avoir une vue globale sur le paysage de l’enseignement supérieur en Haïti. Le ministère veut, à un premier niveau, effectuer le recensement afin de voir comment le tableau se présente en réalité par rapport aux 178 reconnues. Puis, à un second niveau, travailler avec elles. « Genyen, pa gen anyen w ka fè ak yo kidonk c’est les fermer — men sa w ka travay ak yo — se travay ak yo afin de les mettre dans un standard », lance le responsable de la DESRS. Selon lui, le MENFP n’a jamais fermé une université dans le passé. 


À en croire le MENFP dans une circulaire rendue publique, cet enregistrement déclaratif sur la plateforme du ministère (www.menfp.gouv.ht) constituera une étape fondamentale sur la route qui doit mener à l’accréditation nationale. Lors du recensement, les responsables des institutions intervenant dans la formation technique et professionnelle, et des Institutions d’Enseignement Supérieur doivent fournir, en plus des informations de base sur leur établissement, la liste des membres du personnel pédagogique avec diplômes et certificats les habilitant à enseigner, les types de programmes offerts, la liste des étudiants suivant leur parcours académique et les palmarès des étudiants en fin de session. « L’enregistrement en ligne, au cours de ce recensement, est obligatoire et exigible pour tout établissement en vue d’introduire ou de finaliser la procédure d’accréditation des institutions concernées et leurs programmes », lit-on dans le document rappelant que cette action cadre avec la mise en application de la Loi portant réorganisation et modernisation de la formation technique et professionnelle, et se situe en prélude à la mise en place de l’Agence nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (ANESRS). 


Les Universités reconnues en Haïti, l’exception !


Haïti dispose de 178 institutions d’enseignement supérieur reconnues. Parmi elles, des institutions publiques et privées. D’une part, il y a 138 institutions privées d’enseignement supérieur - soit 78 %. D’autre part, il y a 40 entités publiques d’enseignement supérieur représentant 22 % de l’offre — dont 23 de l’Université d’État d’Haïti (UEH), 10 Universités publiques en région (UPR) dépendant directement du MENFP et 7 écoles d’enseignement supérieur rattaché à des ministères, selon la liste publiée en 2023 par la Direction de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (DESRS) instance sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP).


« Nous savons que par rapport aux institutions d’enseignement supérieur (IES) reconnues - celles existantes constituent une quantité énorme. Donc, parler d’universités existantes est tout à fait différent d’évoquer celles qui sont reconnues », laisse entendre Jean Judson Joseph, le responsable de la DESRS. Celle-ci livre des autorisations de fonctionnement aux Institutions d’Enseignement supérieur, assure l’accréditation des programmes et légalise les diplômes sortant des universités. Une université peut avoir une autorisation de fonctionnement sans avoir pour autant l’accréditation pour implémenter un programme d’études. « C’est un (véritable) desordre ! Pasi pala ou ou wè Inivesite nan yon chanm kay », critique-t-il.


Par ailleurs, l’accréditation pour les programmes liés à la Santé est du ressort du ministère de la Santé publique (MSPP). Ceci n’enlève en rien l’importance de l’autorisation du MENFP plus globale et liée à la reconnaissance de l’institution. Pour avoir cette reconnaissance de la Direction de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, un ensemble de documents est exigé. Retenons entre autres, l’enregistrement du nom commercial au ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), un document attestant l’existence d’un local, la liste des programmes à implémenter, la liste du personnel administratif faisant partie de l’institution, la liste du personnel académique par grade et un projet d’avenir soulignant son développement dans trois ans.


Un avis favorable est donné pour une periode de trois ans. En cas de conformité des pièces soumises, il existe une deuxième étape. Une évaluation sera faite au bout de trois ans pour voir les avancées liées au projet d’avenir et par la suite, sera offerte une autorisation pour cinq ans. « Il fut un temps, on donnait les autorisations pour un temps indéfini. Depuis un an, on ne donne plus d’autorisations indéfinies. C’est fixé dans le temps », confie le responsable de la DESRS. L’instance ignore la quantité d’étudiants qu’il y a au pays. « Cette reconnaissance donnée par le MENFP n’est pas un label de qualité. Il n’y a pas une sorte de ranking/ classement. C’est un permis de fonctionnement qui a une valeur administrative et juridique. Elle n’a pas une valeur pédagogique », souligne Josemar St-Victor, cité plus haut. 


« Le recensement n’a pas été fait en raison d’un souci technique au niveau du site du ministère. Des travaux sont en cours sur le site afin qu’il soit plus performant. Il sera fait sous peu », promet-il. « L’enquête (le recensement) va nous permettre de prendre de bonnes décisions ». Dans cette question de reconnaissance, il est à noter qu’une institution peut être reconnue par le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) sans pour autant l’être par le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP). Toutes les institutions d’enseignement universitaire dans le domaine de la santé doivent avoir la reconnaissance du MSPP. Est en cours, le processus de mutualisation des reconnaissances étatiques au sein de la Direction de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique afin de mieux gérer la problématique de la double reconnaissance. « Tout enstitisyon ki gen te gen otorizasyon sante piblik yo ki pa t gen otorizasyon MENFP, n ap travay pou n ba yo l. Pou n amonize sa », ajoute-t-il.


84 institutions de formations en Sciences de la Santé sont reconnues par le ministère de la Santé publique et de la Population à travers sa Direction de formation et du perfectionnement en Sciences de la Santé (DFPSS), selon une liste publiée en juin 2022. Les programmes reconnus sont la médecine, la pharmacie, l’odontologie, les sciences infirmières, sage-femme, technologie médicale. Notre observation nous permet de voir que nombreuses sont des institutions figurant sur la liste du MSPP qui ne le sont pas sur celle du MENFP. Liste-des-institutions-de-formation-en-sciences-de-la-sante-reconnues, Juin 2022.pdf (mspp.gouv.ht


Cependant, dans la réalité, il existe plus de 84 institutions de formations en Sciences de la Santé fonctionnant dans le pays. Le nombre augmente au fil des ans. « Toute institution de formation en sciences de la santé doit donc avant son ouverture déposer un dossier pour évaluation à la DFPSS du ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP). Le dépôt du dossier ne constitue nullement une autorisation de fonctionnement. Le requérant a pour obligation d’attendre les résultats de l’évaluation organisée par le MSPP. Un permis de fonctionnement est délivré ; il garantit aux étudiants de l’institution l’accès aux examens d’État et aux établissements sanitaires publics pour leur stage », peut-on lire dans le guide de présentation du dossier, cité par Le Nouvelliste du 9 novembre 2017.  


Il s’avère important de souligner que de 1987 à 2011, ce n’était pas uniquement au MENFP qu’il incombait la tâche d’autoriser le fonctionnement des universités en Haïti. Cela a changé à la faveur d’un remaniement de la Constitution de 1987.


Un changement significatif dans le cadre légal


« L’autorisation de fonctionner des Universités et des Écoles Supérieures Privées est subordonnée à l’approbation technique du Conseil de l’Université d’État, à une participation majoritaire haïtienne au niveau du Capital et du Corps professoral ainsi qu’à l’obligation d’enseigner notamment en langue officielle du pays », lit-on dans l’article 211, chapitre 7 de la Constitution de 1987 constituant les premiers prescrits juridiques liés à l’autorisation de fonctionnement des institutions d’enseignement supérieur en Haïti. Elle confère dès lors à l’Université d’État d’Haïti (UEH) un rôle important, voire primordial, dans la question de l’enseignement supérieur à travers le pays. La présente comme l’instance suprême de l’enseignement supérieur, car c’est à elle qu’il revient la tâche d’approuver techniquement le fonctionnement des universités publiques au nom de l’État. Dans la réalité, les établissements d’enseignement supérieur privés n’avaient jamais accepté cette mesure constitutionnelle, selon le rapport Étude sur l’enseignement du droit en Haïti. « L’UEH ne jouait pas vraiment ce rôle. C’est plutôt le MENFP qui donne l’accréditation aux universités privées », peut-on y lire.


« Très peu d’institutions ont reçu l’avis technique favorable de l’UEH. L’UEH n’a pas vraiment pu s’acquitter de ce mandat que la Constitution de 1987 lui avait donné. D’ailleurs, finalement, le MENFP, via la DESRS, n’a plus sollicité cet avis technique favorable face à la non-réactivité de l’UEH dans ce domaine et a reconnu tout seul les universités qui en faisaient la demande, ou leur a accordé une autorisation de fonctionnement », confirme le professeur Paul Antoine Bien-Aimé à Enquet’Action. 


Un revirement allait être observé. La Constitution amendée de 2011 a enlevé cette prérogative à l’UEH. Le chapitre V de l’amendement constitutionnel de 2011 consacré à l’Université, l’Académie et la Culture, a connu l’unique amendement en son article 211 qui se lit désormais ainsi : « Il est créé un organisme public chargé de la régulation et du contrôle de qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique sur tout le territoire. Cet organisme exerce son contrôle sur toutes les institutions publiques et non publiques travaillant dans ces deux domaines. Chaque année, il publie un rapport sur la qualité de la formation et établit une liste des institutions performantes. La loi détermine la dénomination, fixe le mode d’organisation et de fonctionnement de cet Organisme ». Cet article enlève du coup à l’UEH le privilège de l’avis technique favorable. Ce n’est plus à l’UEH d’étudier les dossiers des institutions qui voudraient être des établissements d’enseignement supérieur. Actuellement, en attendant que l’agence soit fonctionnelle, c’est la Direction de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui étudie les dossiers — les évalue et prend la décision d’octroi ou de refus de l’autorisation de fonctionnement. 


Le statut d’institution indépendante de l’UEH a été maintenu avec la Constitution amendée. Comment concilier ce statut d’institution indépendante avec la soumission au pouvoir de régulation et de contrôle de ce nouvel organisme public. Peut-on être indépendant quand on est sous la tutelle d’une entité qui vous contrôle ? Une contradiction qu’on allait vivre dans la réalité avec la naissance de l’Agence nationale de l’enseignement supérieur et de recherche scientifique (ANESRS) créée par le décret du 30 juin 2020 publié dans le journal officiel Le Moniteur. Trois décrets ont vu le jour à cette date-là. Ils portent sur l’organisation, le fonctionnement, et la modernisation de l’enseignement supérieur. Il y a matière à débat. Cette nouvelle agence a pour mission la prise en main de l’enseignement supérieur en Haïti - mais également, la standardisation des programmes, des niveaux de compétence des professeurs, du financement de la recherche et de la validation des diplômes et du cursus. Et le cabinet particulier du chef de l’État d’alors Jovenel Moïse a confié la mission de sa mise en place à l’Office national du Partenariat en Education (ONAPE).


En novembre 2020, réuni en session ordinaire, le Conseil de l’Université a recadré le pouvoir exécutif en adoptant une résolution visant à « notifier son refus de plier aux réformes adoptées par le pouvoir en place à travers les deux décrets concernant l’enseignement supérieur dans le pays ». Pour corroborer leur position, les membres du Conseil de l’UEH se sont appuyés, entre autres, sur la Constitution, sur un certain nombre de textes de loi, et notamment celles relatives à la nouvelle Agence. Le Conseil estime qu’il est inconcevable que les décrets adoptés réduisent cette institution en un organisme fonctionnant sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP). 


« Le Conseil de l’Université déclare que ni l’Université d’État d’Haïti ni ses organes ne sauraient être régis par les Décrets susmentionnés dans leur teneur actuelle parce qu’ils se situent en flagrante contradiction avec la Constitution de la République et les lois en vigueur », lit-on dans la résolution prise en conseil. Ces décrets sont illégaux au regard des dispositions de la Constitution de 1987. Ainsi, l’exécutif doit attendre « de les mettre en conformité avec la Charte fondamentale et de rechercher le consensus approprié avec le secteur universitaire ». 


Là où le bât blesse, c’est que cette agence qu’on prétend être autonome est sous la tutelle du MENFP. « C’est la raison pour laquelle beaucoup de gens préféraient que, comme cela se fait dans beaucoup d’autres pays, soit créé un ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. C’est l’un des problèmes soulevés par le CUEH. Autrement, l’UEH va être sous la tutelle du MENFP puisqu’il répond à l’agence et que l’agence est sous la tutelle du ministère. L’UEH sera aussi sous la tutelle du MENFP », analyse le professeur d’université Paul Antoine Bien-Aimé croyant qu’un consensus doit être trouvé entre les acteurs impliqués dans le respect de l’indépendance de l’UEH.


Compte tenu des antécédents historiques, l’UEH tiendra à défendre son statut d’institution indépendante, mais ne saurait s’opposer à la définition et la mise en œuvre d’une politique nationale de l’enseignement supérieur, ainsi qu’au principe du respect des normes et règlements qui seront mis en place par cette Agence. Mais elle tient à se protéger de toute tentative de vassalisation. « Dans l’état actuel des choses, l’UEH sera à l’avant-garde de la mise en œuvre de cette politique compte tenu de son histoire, de l’importance numérique de ses étudiants et de ses enseignants, de la qualification de ces derniers », selon le professeur Paul Antoine Bien-Aimé. 


Nouvelles lois, d’énormes changements…


Le décret portant sur l’organisation, le fonctionnement et la modernisation de l’enseignement supérieur du 30 juin 2020 a tout redéfini. D’ailleurs, par accréditation, il entend l’autorisation accordée par « ordonnance ministérielle » à un établissement d’enseignement supérieur public ou privé d’organiser un ou des parcours de formation conduisant à un ou des grades et de délivrer les diplômes les conférant en guise de reconnaissance de l’assurance-qualité éprouvée. L’accréditation donne droit à l’établissement d’organiser les parcours de formation considérés et de délivrer les diplômes les sanctionnant. Elle est valable pour une durée fixée par voie réglementaire et renouvelable après évaluation réalisée par l’organisme de régulation. Pour chaque filière de formation, un agrément (différent de l’accréditation) est accordé par ordonnance ministérielle à un établissement d’enseignement supérieur privé afin d'organiser une filière de formation.


Tout établissement d’enseignement supérieur privé communique à l’organisme de régulation un rapport annuel de son activité dans les deux mois suivant la fin de chaque année académique. Les établissements d’établissement supérieur public et privé remplissent leurs missions sous le contrôle administratif, scientifique et pédagogique de l’organisme de régulation, lit-on dans le document.


En cas d’ouverture sans autorisation d’un établissement d’enseignement supérieur privé, l’organisme de régulation en ordonne la fermeture. Dans un délai de 30 jours, il adresse un rapport informatif au Ministre chargé de l’enseignement supérieur. En cas de manquements aux dispositions du présent décret et des textes réglementaires pris pour son application, portant atteinte à la qualité des enseignements dispensés ou aux conditions d’hygiène et de sécurité, le Ministre chargé de l’enseignement supérieur, sur le rapport de l’organisme de régulation retire l’autorisation accordée et prononce la fermeture provisoire ou définitive de l’établissement. « Est puni de 5 à 7 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5 à 10 millions de gourdes, quiconque crée ou dirige un établissement d’enseignement privé sans avoir obtenu l’autorisation prévue par le présent décret ou le maintien ouvert ou continue à le diriger après qu’il a été prononcé sa fermeture provisoire ou définitive », tranche cette loi.


Cette sanction est aussi prévue pour quiconque ouvre des parcours de formation ou délivre des attestations, certificats ou diplômes sans avoir obtenu l’accréditation ou l’habilitation prévue par le décret. Est puni de 5 à 7 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5 à 10 millions de gourdes quiconque attribue à un établissement, une dénomination ou diffuse à son sujet des publicités mensongères ou des publicités dans des conditions susceptibles d’induire en erreur le public notamment sur son statut juridique, sa nature, son personnel d’enseignant ou son niveau d’études et leurs débouchés éventuels. Les institutions d’enseignement supérieur privées déjà reconnues par l’État disposent de 90 jours, à partir de la date de publication du présent décret, pour déposer auprès de l’organisme de régulation un dossier comportant la copie de l’autorisation de fonctionnement ou la reconnaissance obtenue, la copie des statuts et règlements, le curriculum des formations dispensées ainsi que la liste des diplômes, titres ou grades délivrés.


Dans les faits, les prescrits de cette loi ne sont pas encore appliqués.


Nécessité d’un ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche


Le ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) s’occupe de l’éducation liée à la petite enfance, au niveau fondamental, du secondaire, et le professionnel au travers de l’Institut national de formation professionnelle (INFP). À travers la Direction de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (DESR) traitée en parent pauvre, le MENFP prétend s’occuper également du supérieur. « Mais la grande majorité de son énergie et de son temps est concentrée sur la petite enfance, le fondamental, le secondaire et le professionnel. Il s’occupe de l’Enseignement supérieur, mais pas suffisamment », a souligné Josemar St-Victor à Enquet’Action. 


La DESRS doit passer le relais à l’Agence nationale de l’enseignement supérieur et de recherche scientifique (ANESRS) créée par le décret du 30 juin 2020. L’ANESRS peine à voir le jour. « Le modèle qui fonctionne et donne des résultats, c’est celui où l’enseignement supérieur est jumelé à la recherche. On voit davantage de pays où l’enseignement supérieur est jumelé avec la recherche. Or en Haïti, on n’a pas un ministère de l’Enseignement supérieur qui serait chargé de la régulation des Établissements d’Enseignement supérieur et de la mise en œuvre des politiques de recherche », regrette l’expert Josemar St-Victor. Donc, bon nombre d’observateurs et de personnalités du système plaident pour l’établissement d’un Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS) dans le pays. Celui-ci coifferait l’ANESRS.


D’ailleurs, le décret portant sur l’organisation, le fonctionnement et la modernisation de l’enseignement supérieur du 30 juin 2020, parle même de « Ministre chargé de l’enseignement supérieur ». Donc, n’écarte pas cette possibilité. À en croire ces prescrits, l’organisme de régulation fonctionnera sous la tutelle du ministre chargé de l’enseignement supérieur. Un tel ministère pourrait aider à donner au volet recherche sa véritable lettre de noblesse dans le pays. 


Également, dans l’état actuel des confusions existantes entre l’ANESRS et l’Université d’État d’Haïti (UEH), la mise en branle d’un tel ministère ferait l’affaire. Un tel ministère serait plus crédible et apte à faire la part des choses, notamment à représenter valablement l’université dans les débats liés au budget. Par contre, le constat est que cette question du ministère de l’Enseignement est très peu ou presque pas présente dans les débats de société sur l’Université en Haïti. Il semble évident que le pays nécessite une entité nationale faisant l’unanimité responsable de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Une entité qui empiéterait pas sur l’indépendance et l’autonomie de l’Université d’État d’Haïti toujours sur ses gardes quand il s’agit de défendre son statut d’institution indépendante.



Milo Milfort


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