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La fuite des professionnels de santé vers l’étranger inquiète en Haïti

Depuis l’aggravation de la situation sécuritaire en Haïti en 2018, plusieurs centaines de professionnels de santé en général, des médecins en particulier, abandonnent massivement le pays pour se réfugier notamment en Amérique du Nord. Une situation qui risque de contraindre le pays à importer un jour où l’autre des spécialistes pour combler des vides énormes dans un système sanitaire en défaillance.



CP: Une vue de la cour de de l’hôpital de l’Universitaire d’État d’Haït, le 15 mars 2024/Molière Adely


Enquête


Assis sur un fauteuil roulant, Evenson Molière, 26 ans, est au chevet de sa sœur de plus en plus souffrante d’un problème de poumon. Après son accouchement, elle a été admise à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), au cœur de Port-au-Prince. Elle est allongée sur un lit improvisé en hauteur et à ses côtés, une longue bonbonne de gaz. La 8e depuis son arrivée. L’expérience vécue par sa sœur ainée dans un centre hospitalier a amené Evenson à s’inquiéter de la fuite massive des médecins haïtiens vers l’étranger. « Ce que j’ai vécu avec ma sœur, c’est quelque chose de catastrophique. S’il n’y avait pas de médecins, je ne sais pas où serait ma sœur actuellement. C’est quelque chose de mauvais le fait que les médecins quittent le pays. Dans ce cas, que nous réserve l’avenir ? Si à la crise socio-politique s’ajoute celle de la santé, on sera tous morts », indique celui qui apprend le journalisme.


Ce sont tous les secteurs de la vie nationale qui sont frappés par cette vague d’émigration des professionnels. Dans les universités, les écoles classiques et professionnelles publiques et privées, les salles sont vides. Le corps professoral et les personnels administratifs perdent leurs membres. Même la police nationale d’Haïti est sévèrement éprouvée. Dans le secteur médical, certains spécialistes se font rares. Ils ont dû migrer soit après avoir été victimes d’enlèvement ou par peur de l’être. En effet, plusieurs dizaines de médecins ont été kidnappés entre 2018 et 2024 au point qu’à un moment, on avait l’impression que c’était un secteur cible clé pour les bandits. Des informations laissent croire que des médecins sont généralement kidnappés pour aller prendre soin de bandits grièvement blessés dans des attaques armées ou dans des affrontements avec la police nationale. 


SAUVER SA PEAU A TOUT PRIX !


Haïti depuis des années est transformé en enfer par les gangs armés, entre 200 et 300, qui kidnappent, tuent, volent et violent en toute impunité alors que la police nationale d’Haïti et les autorités se montrent totalement impuissantes à endiguer cette situation qui chasse des centaines de milliers d’Haïti en quête de vie meilleure. Dans ce contexte d’insécurité totale, des programmes visant à donner le Statut de Protection temporaire aux Haïtiens (TPS) à des Haïtiens aux États-Unis sont apparus. Et des années plus tard, le programme Humanitarian Parole, sans oublier, des programmes du Canada et des pays de l’Amérique latine. Tous des programmes auxquels profitent des Haïtiens pour quitter le pays ces dernières années. 


Pas moins de 144 mille Haïtiens sont déjà approuvés dans le programme « humanitarian parole » couramment appelé programme Biden depuis son lancement le 9 janvier 2023. Au moins 138 mille d’entre eux sont déjà arrivés aux États-Unis autorisés à y vivre et à y travailler pendant deux ans. Dans des centres hospitaliers, cette situation est considérée comme une hémorragie qui les gangrène. Infirmières, médecins et pharmaciens partent par dizaine. Une situation qui risque de rendre le système plus défaillant. « C’est une situation qui existe toujours et qui n’a fait qu’exacerber ces derniers temps », affirme le médecin Jude Milcé, directeur exécutif de l’ Hopital de l’Universite d’Etat d'Haïti (HUEH) connu aussi sous le nom de l’Hôpital Général, le plus grand centre public de prestation de soins de santé du pays.


« Les médecins diplômés ne restent pas en Haïti depuis les années soixante. Ils émigraient d’abord en Afrique, ensuite au Canada et puis aux États-Unis. Il y a des promotions de la Faculté de médecine, où presque tous les diplômés ont quitté le pays », révèle-t-il à Enquet’Action. La Faculté de médecine, la seule qui existait à l’époque (avant 90). 

Selon M. Milcé, des raisons familiales, économiques et politiques expliquent la migration des professionnels de santé. « Ils ont parfois l’envie de se réaliser, de trouver de meilleures conditions de vie », souligne le médecin. Et sans langue de bois, il admet que c’est une situation qui se fait déjà sentir dans le plus grand hôpital du pays. « Il y a un manque de disponibilités et certains [services] ne peuvent pas être offerts à la population », se plaint-il. Quand ils laissent le pays, « certains restent dans le domaine et une quantité choisit d’autres orientations en fonction du besoin du pays d’accueil », laisse-t-il savoir.


CP: Un homme passant devant une maison dont le mur frappé d'un slogan anti-gouvernemental / Milo Milfort


ET CEUX QUI RES[ISIS]TENT ?


« Les gens voient surtout l’image des médecins et des socioprofessionnels qui quittent Haïti, mais l’histoire est beaucoup plus grave, car ceux qui restent en Haïti ne peuvent plus se rendre dans les hôpitaux et dans les centres médicaux. C’est une catastrophe immense. Le pays est privé de tout support en ressources humaines pour faire marcher le système de santé », a fait savoir le Dr Ronald Laroche à Enquet’Action.


Face à la fuite des professionnels de santé, celui qui dirige le réseau DASH, constitué d’au moins 20 centres médicaux à travers Haïti dit ne pas rester les bras croisés. « Nous nous organisons toujours afin de trouver les bras qu’il faut pour que les hôpitaux puissent continuer à fonctionner. Quelles que soient les circonstances, on s’adapte, puis on cherche les moyens afin de pouvoir donner des services à la population. Le problème, c’est que même si nous autres on essaie de faire marcher les choses, les bandits et l’insécurité empêchent les médecins de venir travailler. C’est ça la catastrophe », souligne le Dr Laroche. 


Cette catastrophe que décrit le médecin touche également le secteur pharmaceutique. « L’aspect à considérer en termes d’impacts, c’est qu’il y a beaucoup de professionnels de santé, particulièrement des pharmaciens qui abandonnent le pays. Une fuite de cerveaux sans précédent. Les gens ne restent pas dans le pays. Ils essaient de sauver leur peau par rapport à la situation de violence », renchérit Pierre Hugues Saint Jean, président de l’Association des pharmaciens haïtiens (APH).


Selon lui, cette situation va avoir de gros impacts sur le système de santé en général. « On ne peut offrir des services si on n’a pas de personnels de santé. Il y a nécessité de repartir sous de nouvelles bases pour respecter les normes et principes en matière de santé et dans le domaine pharmaceutique. Déjà, on avait un système de santé à genoux. Un système de santé délabré et défaillant. Et la situation actuelle va l’aggraver davantage. Nous pensons que nous ne pouvons pas descendre plus bas, mais malheureusement, on se fait que s’enfoncer davantage », constate-t-il. 


Et jusqu’à présent, le secteur de la santé ne cesse d’être victime de la crise sécuritaire. Destruction, suivi de pillage voire d’incendies, d’hôpitaux, de pharmacies et de containers comportant des médicaments et d’intrants médicaux, des laboratoires produisant des médicaments fonctionnent au ralenti, la fermeture de centres hospitaliers et des ports et des aéroports, constitue la situation actuelle à laquelle il se confronte. 

L’AVENIR S’ASSOMBRIT !


L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, le centre hospitalier des pauvres et démunis est sous-équipé. Chaque année, cet hôpital connaît plusieurs grèves des employés exigeant de meilleures conditions de travail et l’augmentation salariale. Le nouveau bâtiment devant loger l’hôpital est en construction depuis plus de 12 ans. Si la situation reste comme ça, selon plus d’un, Haïti risque d’arriver à un moment où il sera obligé d’importer des médecins étrangers pour offrir des soins à ses populations. La facture risque d’être salée. Les impacts seront dévastateurs. « [Cette situation peut] rendre le système encore plus défaillant et on prépare nos cadres dans des conditions difficiles pour l’étranger », admet le Dr Jude Milcé. Le pire c’est qu’à sa connaissance, « aucune réflexion » n’est en cours par rapport à ce phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur. 


Haïti disposant d’un système de santé défaillant, compte 0,2 médecin et 0,4 infirmière et sage-femme pour 1 000 personnes, selon les données datées de 2018 de la Banque Mondiale (BM). Pour sa part, le ministère haïtien de la Santé et de la Population (MSPP) peint un tableau encore plus triste. « Presque la moitié des professionnels de la santé abandonnent le pays. Le stress aggrave la situation des malades, rend malades ceux/celles qui ne l’étaient pas ou augmente le risque de le devenir. Beaucoup de personnes qui étaient en cours de rétablissement ont vu un changement de situation. Beaucoup de malades graves sont morts », sont entre autres ce qu’ont fait savoir les responsables le 7 avril 2024 à l’occasion de la journée mondiale de la Santé à un moment où le système sanitaire haïtien est beaucoup plus fragilisé en raison du pillage suivi d’incendie de centres de santé et d’hôpitaux se retrouvant au centre-ville de la capitale pris en otage par les gangs semant la terreur jour et nuit.


Milo Milfort

Ce projet de contenus est soutenu par IFDD/OIF


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