top of page

Vivre avec des traumatismes liés au viol toute une vie

  • 12 août
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 août

Dans les nombreux camps de déplacés de Port-au-Prince vivent des victimes de viols des gangs armés. Ce sont des femmes âgées, des jeunes, voire des fillettes. Suite à ces viols survenus lors des massacres et attaques armées, certaines victimes sont tombées enceintes. D’autres ont contracté des maladies, dont le VIH.


ree

Reportage  


Dans une cour très animée, des jeunes jouent au football. À quelques pas, des femmes, assises devant leur petit commerce, discutent entre elles au milieu des éclats de rire à répétition. Dans cet environnement bruyant, les pleurs des nouveau-nés et enfants en bas âge se mêlent de la partie. Nous sommes à l’École nationale Argentine Bellegarde, transformée en camp de déplacés à Port-au-Prince depuis novembre 2024. Ici, près de 2 mille 800 personnes chassées de leurs maisons par des gangs armés y ont trouvé refuge. 


Toutes les salles de classes de cette école sont transformées en chambre à coucher, abritant plus de dix familles. Pas de lits, seulement des draps sales étalés sur le sol. Des déplacés cuisinent à chaque coin de certaines pièces. Des toilettes à peine utilisables croulent sous des odeurs nauséabondes. La situation est intenable.


Dans l’une des salles de classe, nous avons rencontré Sandrine Pierre*, 21 ans. Vêtue d’un t-shirt noir, une coiffure faite de deux tresses, elle tient son bébé d’un an dans les bras. Un enfant, qui est le fruit d’un viol. « Je me rappelle de l’évènement comme si c’était hier. Le 13 juillet 2023, des bandits armés ont envahi, Carrefour-Feuille, le quartier où je vivais. En essayant de prendre la fuite pour sauver ma vie, je suis tombé sur deux jeunes hommes. J’ai reçu des coups et j’ai été violée. C’est ainsi que je suis tombée enceinte », raconte Sandrine, le visage désespéré et la voix impuissante. 


À Carrefour-feuilles, Sandrine était en classe de terminale et vivait avec sa mère. Elle était loin d’imaginer que sa vie allait être bouleversée et basculée. « Depuis, je vis un calvaire. Il n’y a que ma mère qui continue de me soutenir. Même mon propre père m’a humiliée en apprenant que j’étais tombée enceinte », poursuit-elle, les yeux larmoyant. 


ree

Le viol, arme de combat des gangs armés 


Entre le mois d’avril et juin 2025, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) a recensé 610 incidents impliquant 628 victimes de violences sexuelles, dont 588 femmes et 38 filles. Au moins 85 % des cas concernent des viols collectifs. C’est en tout cas ce qu’a souligné le rapport trimestriel de l’institution sur la situation des droits de l’homme en Haïti, publié tout au début de ce mois d’août. Le phénomène se trouve également au cœur d’une enquête que le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a menée à Carrefour et à Gressier, deux communes situées à l’entrée sud de la capitale.


« Nous avons découvert que des hommes entrent dans des maisons, de manière systématique, et cherchent des femmes et des fillettes pour les emmener dans des espaces où des hommes nus les attendent pour les violer », nous a révélé Marie Rosy Auguste Ducéna, responsable de programmes au sein du RNDDH. Selon elle, la situation est préoccupante. « Cette déchirure du corps social que nous vivons et le fait que les femmes ne sont pas en sécurité en Haïti sont [entre autres,] les causes de la banalisation du viol. Pour couronner le tout, l’impunité des crimes commis contre les femmes et les fillettes », argumente la militante des droits humains.


Les organisations de femmes ou féministes se disent submergées par la multiplication de cas de femmes victimes de viols qu’ils reçoivent dans leurs locaux. C’est le cas, notamment de Solidarite Fanm Ayisyèn (en français, Solidarité des femmes haïtiennes). L’organisation reçoit chaque mois plus d’une centaine de femmes victimes de viols. Une situation qui est loin d’être anodine, de l’avis de Berthanie Belony, secrétaire générale de la SOFA. « Les gangs utilisent le corps des femmes. On dirait un terrain de guerre, leur terrain de guerre. Ils les violent, les battent et les tuent. C’est une situation vraiment inquiétante. Quelles que soient les ressources qu’une ONG ou partenaire pourrait mettre à notre disposition, cela ne nous permettrait pas de prendre réellement en charge toutes ces femmes », soutient la responsable. 


Parmi les victimes, beaucoup d’entre elles ont été testées positives à des maladies sexuellement transmissibles, dont le VIH. « Nous avons recensé plusieurs cas de VIH parmi les victimes de viols. Le taux de prévalence que l’on dit être à la baisse en Haïti demanderait que l’on fasse des recherches pour savoir où l’on est aujourd’hui », ajoute Berthanie en soupirant. « Les femmes n’en peuvent plus ».


ree

Quelles mesures de prise en charge nécessaires ?


Après être tombée enceinte suite à son viol, Sandrine a toute de suite pensé à se faire avorter et à se suicider. Elle ne voulait pas vivre avec le poids de cet acte. « Dans notre société, être dans une telle position représente un lourd fardeau. D’un autre côté, je ne voulais pas avoir un enfant sans père, et issu d’un viol. Je redoute le jour où mon enfant me demandera où est son père, et que je devrai lui raconter ce qui s’est passé. Peut-être qu’il va me détester », dit-elle, la voix inquiétante. 


La perte d’estime de soi, des troubles dans la vie sexuelle ou encore une altération dans les relations avec les autres personnes sont entre autres des lourds fardeaux que peuvent porter les victimes de viols. C’est en tout ce que nous a fait savoir le psychologue Pascal Nery Jean Charles. Selon lui, en plus de l’adoption de certains comportements à risque, comme consommer de l’alcool pour tenter d’oublier l’évènement qu’elle a vécu, vouloir mettre fin à une grossesse issue d’un viol est pour la victime un moyen de faire face aux impacts psychologiques.


« Lorsqu’une femme est victime de viol, cela suscite des impacts psychologiques majeurs, dont des conséquences émotionnelles. Et le viol est un traumatisme qui peut entraîner un stress post-traumatique. Cela veut dire qu’après l’événement, la victime peut revivre la scène à travers certains éléments déclencheurs, comme une musique, une odeur, un visage, un mot. Et l’enfant, fruit de ce traumatisme, peut être vu par la mère comme un rappel constant de ce qui s’est passé, des moments douloureux et traumatisants qu’elle a vécus », explique-t-il.  


Selon le psychologue, après l’accès aux soins de santé physique, il est très important pour la victime de rencontrer un conseiller psychologique ou un travailleur social qui pourra s’entretenir avec elle. « Ce spécialiste va essayer de comprendre ce qu’elle vit. Et avec son consentement, il pourra l’accompagner selon les besoins dont son cas nécessite. Le traitement peut être différent selon la personne, en fonction de l’impact que le viol a eu sur elle. Tout cela doit être fait dans le respect de la victime », termine M. Jean Charles.


Anne-Aise Vilmé

*Nom d’emprunt pour protéger l’identité de la survivante de violences sexuelles.


Commentaires

Noté 0 étoile sur 5.
Pas encore de note

Ajouter une note

À la une

bottom of page