Quoiqu’il en soit, Muscadin demeure une figure médiatique éminemment intéressante d’un point de vue sociologique. Equipé de la panoplie du soldat (gilet par balle, fusil d’assaut et pantalon kaki), soutenu par une partie de la population qui le vénère, il incarne une solution martiale, individuelle, à une situation sociopolitique complexe, mangonmen au-delà du possible.
Edito
Par Francesca Théosmy
Depuis l’année dernière, Jean Ernst Muscadin, commissaire du gouvernement de Miragoâne s’affiche dans les médias en rempart contre les bandits. Le personnage suscite l’admiration populaire autant qu’il attise l’inquiétude de beaucoup. À l’université, il aurait défendu un mémoire sur l’importance de la peine de mort. À plusieurs reprises, il aurait abattu de sang-froid des prévenus encore menottés. À la moindre occasion, il se proclame Baron Samedi quand les Nippes seraient le cimetière des criminels.
Cette semaine, intervenant en conférence de presse, il s’est de nouveau présenté comme étant « sans peur », imperméable aux menaces et disposant d’un réseau solide d’informateurs. « Il n’y a pas de place dans les commissariats pour les bandits… à Miragoâne. Les mecs qui sont en prison à Miragoâne sont ceux qui ont commis des petits cas de viol, des vols, ont été impliqués dans des disputes de couple… » a-t-il rappelé.
Cette déclaration pourrait faire tiquer celles et ceux pour qui un viol n’est jamais petit, une condamnation à mort ne devrait jamais être expéditive ; et qui savent que les responsables des kidnappings, meurtres et crimes sexuels en Haïti (les gros poissons) ne prendraient jamais le bus ou la moto pour aller dans le Sud. Ils prennent l’avion ou leur véhicule blindé.
Quoiqu’il en soit, Muscadin demeure une figure médiatique éminemment intéressante d’un point de vue sociologique. Équipé de la panoplie du soldat (gilet par balle, fusil d’assaut et pantalon kaki), soutenu par une partie de la population qui le vénère, il incarne une solution martiale, individuelle, à une situation sociopolitique complexe, mangonmen au-delà du possible.
On pourrait le comparer au superheros, solution imaginaire que l’Occident ressort dans les moments de crise. Il ressemble quelque peu à Louis Jean Beaugé, militaire ayant existé qui serait venu à bout d’une insurrection populaire tout seul, par sa bravoure et des moyens… « surnaturels ». Cet aspect d’individu providentiel, sans peur, seul contre tous qui œuvre pour le bien en se salissant les mains, fait de ce commissaire un lwijan boje du XXIe siècle, un Iron man bleu et rouge. Et donc, un fantasme social qui en dit long sur notre détresse.
Cependant, si le personnage déchire autant l’opinion, c’est parce qu’il cristallise le point essentiel du combat à mener, mais que la violence des rapports politiques et économiques tendait à faire oublier : la justice. À l’heure où les voisins d’Haïti, ses oppresseurs d’hier et d’aujourd’hui, continuent de placer la question électorale au cœur de la recherche de solutions, le personnage Muscadin est là pour nous rappeler qu’ils ont tout faux. Il s’agit de justice sociale de combattre l’impunité et l’exclusion.
Aujourd’hui, les gangs se pavanent symboliquement en bizangos. Ils occupent les carrefours stratégiques (les accès à la zone métropolitaine de Port-au-Prince, la Grand’Anse et l’Artibonite, greniers du pays). Ils attaquent de façon éclair, presque magique, n’importe où. École, église, habitation privée… Se kon w pran w konnen. Ils créent l’illusion que nul ne peut leur échapper, que tout le monde — hormis leurs commanditaires — est en faute et peut endurer le châtiment ultime selon l’imaginaire haïtien : perdre sa liberté et par là même sa vie.
Mais si les bizangos ont existé, c’est bien pour remplacer le vide laissé par la justice telle que façonnée par les élites. Alors comment un individu pourrait-il renverser ce que des siècles ont atrocement bâti ?
La vérité est qu’aucun fonctionnaire ni aucun élu issu de scrutins tèt chat ne remplacerait la direction choisie par un mouvement collectif, organisé, déterminé. L’effondrement actuel en est la preuve. Nous avons mille fois mangé de ce pain moisi.
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