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Au pays des hors la loi, les foams sont rois !

En Haïti, les produits en foam ne sont pas les bienvenus, du moins selon les arrêtés les interdisant. Dans la pratique et selon la conscience de beaucoup, c’est plutôt l’inverse. Facilitées par une filière solide de contrebande, ces matières plastiques nocives et catastrophiques pour les côtes caribéennes sont présentes de plus belle dans l’environnement haïtien.


Dans les ministères et agences étatiques, les ONG nationales et internationales, les institutions privées, les agences onusiennes, les écoles et universités, les assiettes et gobelets en foam, bien qu’objets frauduleux au regard du code douanier, sont utilisés sans que nul ne hausse jamais un sourcil. Dans ce contexte particulier où violer la loi est devenu la norme, certains secteurs arrivent à faire leur beurre tandis que les petits commerçants se plaignent de ne pas pouvoir tirer leur maille du filet.





À la frontière haïtiano-dominicaine de Jimani-Malpasse, les 23 produits épinglés par le gouvernement haïtien et des objets en foam continuent d’entrer sur le territoire national par voie terrestre en dépit d’une interdiction officielle. La voie reste la même, mais les moyens ont changé. Si auparavant, les petits commerçants les importaient dans les brouettes, camionnettes, motos, camions et bus, aujourd’hui ce sont les compagnies dominicaines qui ont la main. Elles utilisent de longs containers pour apporter les produits interdits jusque vers le marché haïtien, a-t-on pu observer lors d’une enquête au marché frontalier de Jimani-Malpasse.

Cette contrebande, réalisée à la barbe des agents douaniers haïtiens, ne laisse pas indifférents les petits commerçants qui accusent l’élite économique locale et les autorités.


« Le pays est vendu aux bourgeois. Les autorités veulent continuer à nous enfoncer dans la misère la plus abjecte. Leurs enfants fréquentent de grandes écoles, pourtant ils empêchent les plus pauvres de trouver de quoi envoyer les leurs à l’école », se plaint Yvonne Gauthier, une commerçante dans la quarantaine qui vend des produits de première nécessité à un jet de pierre de la frontière. Tout en discutant avec une collègue, elle fait part de son indignation vis-à-vis d’un État haïtien, selon elle, irresponsable et impuissant face aux problématiques migratoires et commerciales touchant les deux pays partageant l’Ile d’Haïti.


Le cri de cette commerçante est aussi celui de plus d’une dizaine d’autres, interrogés au marché frontalier, de Jimani-Malpasse. Avant les mesures d’interdiction, les petits commerçants pouvaient rapporter de ce marché une pléthore de produits, dont : farine de froment, huile comestible, savon de lessive, détergent en poudre, emballage en foam, biscuits, ustensiles ménagers en plastique et matelas.


Depuis le 1eroctobre 2015 avec l’entrée en vigueur d’une décision du ministère de l’Économie et des Finances (MEF) interdisant d’importation par voie terrestre de 23 produits sur le territoire haïtien, le vent a tourné en faveur des grands importateurs, pour leur plus grand calvaire. Car quand les agents douaniers ferment les yeux sur la contrebande à grande échelle, ils saisissent à tour de bras les petites cargaisons sur lesquelles les propriétaires misent la survie de leurs familles.


Enquet’Action a constaté que de nombreux longs containers comportant environ une vingtaine de pneus, parfois en cortège, sortant de grands dépôts de la République dominicaine à la frontière, reviennent remplis de produits légaux et illégaux. L’intérieur de ces containers très bien fermés loués dans des entreprises dominicaines ne serait pas inspecté et serait au service de grands commerçants, exportateurs et dignitaires de l’État en Haïti.


Le hic, de nombreux témoignages en attestent et nous avons pu le constater sur place, c’est qu’ils sont escortés par des agents d’unité spéciale de la Police nationale d’Haïti (PNH) et des voitures officielles, comme nous avons pu le constater sur place. Ce qui leur permettrait de contourner les inspections douanières qu’ils ne subissent pas.


Anita Jean, 35 ans, commerçante haïtienne qui vend les produits interdits dans la partie dominicaine qui a pris le même minibus que notre journaliste, confirme notre observation.

« C’est la grande mode à la frontière. Les grands importateurs peuvent amener ce qu’ils veulent, les petits commerçants non », s’indigne-t-elle.


Ces containers sont remarqués jusque vers la commune de Croix-des-Bouquets en train de livrer toutes sortes de produits dont des plateaux, des sachets noirs, gobelets et assiettes en styrofoam en grande quantité.

Par ailleurs, les gobelets et assiettes en foam sont visibles à la frontière sous l’étal de nombreux marchands de nourriture, voguant au rythme des vaguelettes du lac Azuei, haut lieu de contrebande et de trafic de personnes, remplies de nourriture entre les mains d’Haïtiens et de Dominicains et dans des décharges sauvages situées sur la frontière. La porosité des frontières haïtiennes avec la République dominicaine joue pour beaucoup dans le non-respect des mesures d’interdiction d’entrée des produits en foam qui sont toujours très présents sur le marché haïtien.


Des arrêtés qui « prennent effet », sans produire d’effets !


Il y a cinq ans, un premier arrêté officiel daté du 9 août 2012 interdisait leur importation. Cela fait quatre ans depuis l’entrée en vigueur le 1eraoût 2013 d’un deuxième arrêté daté du 10 juillet 2013 interdisant « d’importer, de produire ou de commercialiser les objets en polystyrène expansé à usage alimentaire » et aussi deux mois depuis la publication d’un communiqué conjoint daté 7 juin 2017 des ministères du Commerce, de l’Environnement et de l’Économie réitérant l’interdiction d’importer les produits en polyéthylène expansé.


Ces mesures devraient commencer à être appliquées à la source par la Douane. « Tout arrivage de colis contenant des plastiques prohibés sera confisqué par les autorités douanières et les propriétaires sanctionnés conformément aux dispositions du code douanier », lit-on dans l’arrêté présidentiel daté du 9 août 2012.


Pour mieux comprendre la question, Enquet’Action s’est procuré le décret relatif au code douanier du 13 juillet 1987 et a découvert que ce qui se fait dans les points frontaliers constitue une anomalie. Par fraude douanière, on entend « tout acte par lequel une personne trompe ou tente de tromper la Douane et, par conséquent, élude en tout ou en partie […] l’application de mesures de prohibition ou de restriction prévues par les prescriptions législatives ou réglementaires appliquées par les administrations douanières ».


Plus loin le code poursuit :


« Aucune marchandise ne peut entrer en Haïti ni en sortir, si ce n’est par les bureaux des douanes, et seulement après accomplissement complet de toutes les formalités légales nécessaires à leur dédouanement. Cette disposition ne souffre pas d’exceptions, même à l’égard de marchandises exemptes de droits en vertu du tarif, ou exonérées en application du régime des franchises. Toute importation ou exportation effectuée en contravention à cette disposition est réputée frauduleuse et sera traitée comme telle ».


La réalité est toute autre cependant. Le ballet de ces containers observé à la frontière a en fait tout de la fraude.


Entre trois à cinq mois après le premier arrêté, des circulaires internes dans les agences et institutions étatiques, interdisaient, aux employés d’utiliser les produits en foam. Ce qui les poussait momentanément à se munir de leur bol ou à acheter de la nourriture dans des assiettes biodégradables qui, durant un très court temps, sont entrées au pays. Entre septembre et décembre 2013, plus de 100 mille assiettes et gobelets en foam ont été saisis dans le commerce et en douane par les autorités dont les brigadiers des Maries, le corps de surveillance environnementale et des représentants du ministère du Commerce. La présence du styrofoam a légèrement diminué.


Ces actions cosmétiques n’ont pas fait long feu.


Cinq ans après ?


« C’est un constat malheureux. Avec tristesse, nous remarquons que le foam retourne de plus belle. Nous l’avions interdit parce que sa dégradation est très difficile. Il prend pratiquement 100 ans pour se dégrader », regrette l’agronome Jean-François Thomas, ex-ministre haïtien de l’Environnement (2013-2015).

« Selon des études, il aurait certaines propriétés cancérigènes. C’est un produit excessivement dangereux », poursuit Thomas, rappelant que durant son mandat de ministre, il commençait à signer des autorisations à l’intention de personnes désireuses d’importer des matériels organiques à base de bagasse de canne et pelures de banane.


L’ingénieur Jean Donald Paraison, ex-directeur général du Service métropolitain de Collecte de Résidus solides (SMCRS) entre septembre 2011 et décembre 2013 et entre avril 2014 et janvier 2015, parle de son côté de « recrudescence ». Pour lui, « l’embarras, ce n’est pas l’assiette en elle-même, parce qu’il y a des pays qui l’utilisent davantage que nous. Le problème, c’est la gestion qui est faite après l’avoir utilisé. Mais aussi, le fait de faire de la rue et des ravins leurs premières destinations, qui pourtant devraient être une benne à ordures et une entité qui vient les collecter ».


Malgré la triple interdiction, le foam est omniprésent, constate Enquet’Action. Ces produits sont commercialisés très facilement et sont utilisés dans les structures étatiques et privées comme dans les ministères, les universités publiques et privées, les médias, les agences onusiennes, au niveau des ONG haïtiennes et internationales, les écoles, les églises, les restaurants huppés fréquentés par les grands dignitaires de l’État comme dans les restos de rue conçus pour les plus démunis. Mais aussi, sur le bord de mer, les gares routières, les égouts, les ravins et les décharges sauvages.


Le foam est le type d’ordure le plus présent sur les artères de la région de Port-au-Prince. Suivi de très près, par les sachets d’eau et les bouteilles en plastique.


Rares sont les endroits où l’interdiction d’utiliser le foam est respectée. Comme c’est le cas du Parc de Martissant et de la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL). D’ailleurs, même les ministères et agences étatiques chargés de faire respecter la double interdiction l’ont violé.


Une étude titrée la gestion des déchets des acteurs de l’aide en Haïtiréalisée par la spécialiste en questions environnementales Samantha Brangeon en collaboration avec le Groupe URD (institut spécialisé sur les pratiques et les politiques humanitaires et post-crise) et l’ONG CEFREPADE, spécialisée dans la recherche de solutions adaptées et pérennes pour la gestion des déchets dans les pays en développement, critique les acteurs humanitaires, de développement et des agences des Nations Unies de n’avoir pas respecté la loi interdisant l’utilisation du polystyrène et des sachets noirs.


« Ceci pose un problème éthique sur la responsabilité et l’exemplarité des ONG dans un pays où leur utilisation est interdite par la loi et nous interroge sur la participation des ONG à un marché parallèle et illégal, même si les alternatives biodégradables restent faibles, particulièrement dans les zones rurales. Il est urgent de questionner ces pratiques qui peuvent porter atteinte à la réputation et à stabilité financière des acteurs ».

A fait remarquer ce rapport, ajoutant que deux ONG ont en effet déclaré que la quantité de déchets de « boite manger » non bios correspondait à 30 % de la quantité totale de déchets produits dans leurs bureaux.


Et la contrebande se mêle de la partie


Dans les points frontaliers officiels et non officiels, la contrebande est florissante. Pour contrecarrer l’interdiction à double vitesse des autorités haïtiennes, les petits commerçants et détaillants se prêtent au jeu, tant bien que mal. À Jimani-Malpasse, tous les jours des marchandises interdites d’importation entrent en Haïti. Les produits procurés sont dispatchés à quelques pas de la frontière. Pour dissimuler ceux de contrebande, les commerçants les enveloppent dans des tissus difficiles à remarquer (de vieux sacs sales) et les cachent à l’intérieur de caisses de produits libres d’accès.


Pour défier la douane, ils sont transportés surtout à motos à travers des routes non contrôlées par les douaniers et aussi via le lac Azuei. Les contrôles ne sont pas trop stricts à la douane où les inspecteurs ne prennent pas tout leur temps d’inspecter. Et, à la Douane, Enquet’Action a même remarqué un individu en civil, réclamer de l’argent à un chauffeur transportant habituellement de nombreux produits interdits, dont le foam.


Après les États-Unis, Haïti avec 1,4 milliard de dollars américains d’importation en 2014, soit 34 % de ses importations, représente le deuxième partenaire commercial de la République dominicaine, selon le rapport intitulé les flux commerciaux entre Haïti et la République dominicaine : Opportunités pour accroitre la production haïtienne, publié en mars 2016 par le Centre haïtien de Facilitation des Investissements (CFI).


Pourtant, les exportations formelles d’Haïti vers la République voisine n’excèdent pas 4,6 millions de dollars, à en croire ce même rapport. Ce qui représente seulement 0,03 % du total des importations de la République dominicaine. « Un chiffre extrêmement bas compte tenu de la proximité des deux pays », note le document.

Les relations commerciales binationales profitent de loin à la République dominicaine. Le commerce entre les deux pays se fait au travers des marchés frontaliers dits « binationaux », mais aussi, une bonne partie passe par la contrebande régnant le long de la frontière qui aurait dégarni le trésor public de pas moins de 11 milliards de gourdes par année, suivant le forum économique du secteur privé haïtien.


« Haïti importe davantage aujourd’hui qu’il y a 7 ans, ce qui accentue la dépendance du pays par rapport à la République dominicaine tant pour les intrants de la production actuelle que pour la consommation/conditions de vie », révèle le rapport du CFI.


Ce pays, qui était autosuffisant durant les années 70, a vu sa production chuter à la faveur de la baisse des tarifs douaniers dans les années 1990, l’invasion du marché national par les produits étrangers, l’abandon de l’agriculture, rentrant dans la lignée de la politique néolibérale tracée pour Haïti.

Une source bien informée au sein de l’État, requérant l’anonymat, qualifie ces produits de « danger social », tout en rappelant que le non-respect des interdictions est une preuve de l’irresponsabilité de l’État qui l’a adoptée.


« Ils ne devraient pas être en circulation. On ne devrait pas les utiliser. Mais il y a des choses qui sont plus fortes que nous. Vous savez qu’ils ont été prohibés par l’État haïtien. Pourtant, ils continuent d’entrer dans le pays. Ils sont entrés par contrebande, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont leur intérêt là-dedans », dit-elle sans ambages.


Elle cite comme grand pollueur de l’environnement haïtien, les bouteilles et les sachets en plastique et surtout les assiettes en carton non bios. « Tout bagay se pou de jou, epi aprè sa li tonbe à l’eau », conclut-elle.


Selon le décret relatif au code douanier publié dans Le Moniteur du 17 juillet 1987, la contrebande, quoique la fraude douanière se distingue de toute autre infraction douanière du fait qu’elle est réalisée dans la clandestinité avec l’intention de frustrer le Fisc de ses droits. Elle est constituée par tout acte de nature à soustraire volontairement et clandestinement une marchandise quelconque au paiement des droits et taxes dont elle serait passible du fait de son importation ou de son exportation en la soustrayant au contrôle de la Douane, soit en la faisant passer ailleurs que par les bureaux de douane, soit en la cachant au contrôle des douaniers.


« Démagogie politique du pouvoir en faveur de la bourgeoisie, lance Micheline Pierre, 32 ans, commerçante au marché Salomon au cœur de la capitale, assise dans son dépôt bien garni. L’État dit interdire des produits pourtant dans ses différentes boites, ils sont utilisés par les fonctionnaires publics. Elle assure que « le produit est disponible et vous pouvez le trouver si vous en avez besoin ».


La commerçante n’y va pas par quatre chemins et pointe la classe des grands commerçants. « Par container, les gens qui connaissent le trafic rentrent avec eux via les frontières terrestres. C’est une partie de la bourgeoise qui interdit la masse de les importer afin d’en profiter pour faire leur beurre. Au marché, quelques particuliers/démarcheurs viennent nous les offrir en petite quantité », dit-elle. Pierre assure qu’au présent moment les autorités ne se sont pas trop focalisées sur les saisis dans les dépôts, mais plutôt en cours de route. « Il y a même des agents douaniers qui viennent nous les offrir au marché. Les produits sont saisis, on ne les jette pas. Mais, ils les stockent et viennent ou envoient des particuliers nous les vendre ».


Le prix du parquet comportant 200 unités d’assiettes en foam varie entre 1050 à 1150 gourdes, soit entre 17 et 19 dollars américains, dépendamment de l’endroit. « Je suis encore apeurée. C’est pour ça que je n’en prends pas en grande quantité afin de ne pas trop s’aventurer, poursuit-elle, admettant qu’elle prend un risque énorme en vendant des produits interdits par la loi. « Nous sommes obligés. Ils l’ont interdit pourtant ils ne mettent pas à notre disposition des produits de substitution », argue-t-elle, tout en critiquant ceux et celles qui se disent de la bourgeoise qui sont uniquement des commerçants — acheteurs — mais non des producteurs.


Les causes de cet échec ?


Un rapport titré Analyse de la programmation annuelle 2013-2014 du ministère de l’Environnement et des crédits budgétaires associés : Constats et recommandations, daté de septembre 2013 et rédigé par Joseph Ronald Toussaint, à titre de Conseiller spécial en Environnement de l’ex-Premier ministre Laurent Lamothe contenait des recommandations et orientations sur les voies à préconiser pour opérationnaliser l’arrêté en question, suggérées au chef de la primature pour considérations et actions de la part du ministre de l’Environnement.


Le document recommande notamment :


« La poursuite des opérations de réduction à la source avec l’établissement de points fixes des agents du Corps de surveillance environnementale au niveau de la frontière haïtiano-dominicaine », mais aussi « la continuation des opérations de saisies et de destruction des emballages aux frais des commerçants de la grande distribution (supermarchés) importateurs ou entreprise détentrice ».


Ce, afin d’inciter l’utilisation des emballages biodégradables (sacs en tissu, fibres de cocotiers et de palmiers, etc.), œuvrer et concerter avec les chambres de Commerce et d’Industrie, les artisans, les opérateurs économiques et la société civile pour investir dans les bioplastiques, les nouveaux matériaux plastiques issus de ressources renouvelables (résines plastiques à base végétaux comme la bagasse de canne à sucre et d’autres résines à partir des algues et développer des activités artisanales de fabrication de matériaux d’emballage et d’arriver à une stratégie nationale pour la promotion des récipients de substitution.


« Ce sont ces aspects que je voulais faire apparaitre dans l’arrêté », se rappelle Joseph Ronald Toussaint qui admet qu’aucune de ces recommandations n’a été appliquée. Il a par ailleurs recommandé la promotion d’initiatives du genre : « Semaine sans déchets plastiques et en cartons », « zéro sacs plastiques » avec des stands, animations et débats notamment dans les gares automobiles, les fêtes patronales des grandes villes, etc.


De 2012 à nos jours, aucune campagne d’information et d’éducation du public sur les dangers de la pollution plastique n’a été remarquée, encore moins la signature de conventions avec les mairies des villes pour amener les opérateurs économiques et les commerçants à mettre sur pied des plans locaux de gestion de ces emballages.


L’arrêté interdisant la fabrication, la commercialisation et l’importation des produits en foam, publié dans le journal officiel Le Moniteur du 9 août 2012 a été élaboré sous le mandat du ministre de l’Environnement Joseph Ronald Toussaint (octobre 2011 - 6 août 2012). Ce ministre qui ne se laissait pas faire a été remercié pour sa sévérité et rigueur et remplacé par Jean Vilmond Hilaire.


« C’est un arrêté qu’on m’a apporté pour signature. Je ne voulais pas signer et je n’ai pas signé. Je ne peux pas être un ministre de l’Environnement, vous faites un arrêté et vous me l’apportez pour signature sans que j’aie pris part à son élaboration », dit-il, fustigeant le fait qu’il n’a pas été élaboré en consultation avec les différents acteurs impliqués dans la problématique.


« Je savais pertinemment que l’État n’allait pas avoir les moyens pour le faire appliquer. Si vous êtes l’État et que vous allez prendre des mesures, il faut vous donner les moyens pour pouvoir les appliquer. On ne peut être dans le show off », dit-il.


Le foam, un danger social ?


Pour l’ex- ministre de l’Environnement, le problème des plastiques se réfère à la relation de la personne avec son espace, une façon d’insinuer que l’Haïtien développe de mauvais rapports avec son espace vital. Il dit n’avoir pas signé l’arrêté pour deux raisons. Premièrement, parce qu’il est trop vaste et à l’époque impliquait des interdictions pour les sachets en polyéthylène noir qu’on utilise beaucoup pour les pépinières.


Deuxièmement, dans l’arrêté, il tenait à ce qu’on donne aux gens un moratoire et développe un plan avec eux. Ce qui pour le ministre devrait figurer dans l’arrêté pour qu’il puisse avoir force de loi. Il a proposé des contre-formulations qui n’ont pas été prises en compte, regrette-t-il.


Les produits interdits sont les plus demandés. Ce qui suscite le trafic dans lequel seraient impliquées des unités de la PNH, de grands importateurs, des proches et des responsables au niveau de l’État et des douaniers.

Autre problème, les assiettes biodégradables sont plus chères que celles en foam. Prétexte ou excuse ? Qu’en est-il des rares institutions qui les utilisent ?


En tout cas, les risques, conséquences et enjeux environnementaux et sanitaires associés à une mauvaise gestion des déchets en général, des déchets en polystyrène en particulier, sont énormes dans un pays comportant un système de gestion de déchets défaillant voire chaotique et de traitement des détritus inexistant. Retenons entre autres : les risques d’inondations, la propagation de maladies hydriques dont le choléra (l’épidémie introduite par la mission onusienne a déjà fait plus de 10 mille morts), les pollutions de l’air, des sols et de la mer et la contribution au réchauffement climatique de la planète.


Les tortues de mer, les cabris, les poules et les canards ingèrent les objets en foam balancés dans la nature. Mais l’organisme humain n’est pas à l’abri. Sous le poids de la chaleur, le foam se liquéfie/dilate et les particules libérées se mélangent avec la nourriture et pénètrent le corps après consommation. D’ailleurs, en Haïti, on mange et on boit chaud dans le foam, les bouillis, de la soupe, des fritures, le café, les spaghettis et le barbecue.


Les plastiques sont utilisés à outrance. Une bonne partie de la population utilise des sachets plastiques au moment de la cuisson de leur nourriture et l’incinération des ordures quoique toxique (maladies respiratoires, cancers et dysfonctionnement du système immunitaire) est monnaie courante.


« J’admets les risques encourus en mangeant dedans et qu’il suscite des effets négatifs à la longue. On dit qu’il est cancérigène. Quand on met de la nourriture chaude à l’intérieur, il est coutume de prendre le goût du plastique dans les dernières cuillérées », reconnait Daniela Jean-Pierre, 32 ans, mère d’un enfant, commerçante et utilisatrice des assiettes et gobelets en foam. « Je reconnais qu’il représente un danger pour notre santé, mais on ne nous offre pas d’alternatives. Nous nous résignons à mourir ! », se plaint Jean-Pierre.


« Il est un cancer. Il est une bombe à retardement. Il bouche les égouts. Il pollue. Il ne se décompose pas, il ne se recycle pas, il se disloque en infimes particules polluantes. Sa fumée, quand on le brûle, est toxique », renchérit une pétition lancée le 7 juillet 2017 par le Collectif Alternatiba Haïti. Ce dernier est un mouvement citoyen qui rassemble des personnes et structures engagées ou souhaitant s’engager dans la lutte contre le changement climatique. Il cherche à présenter des solutions innovantes dans un état d’esprit positif et festif.


Les signataires exigent du gouvernement haïtien de faire appliquer l’arrêté ministériel du 10 juillet 2013. « Pour l’interdiction des ustensiles en styrofoam en Haïti » à date (7 août 2017), a reçu pas moins de 373 signatures d’Haïtiens et étrangers qui admettent toutefois, que le foam est « hygiénique, pratique, léger, très bon marché et incontournable ». Ils nuancent en ajoutant par ailleurs qu’« il embarrasse (plus ou moins et moins que plus) les décideurs politiques et les organisations bien pensantes, car tous l’utilisent. Et, tous sont hors la loi, depuis l’arrêté ministériel du 10 juillet 2013. Un arrêté de plus qui n’arrête rien », conclut-elle.


Plus d’un mois après son lancement, cette pétition peine à atteindre son objectif qui est de 5 mille signatures. On en parle peu. Elle semble tomber dans l’oubli. Ce qui montre le désengagement citoyen face à des problématiques sociales de taille.


Leur point de chute : les ravins, canaux et égouts !


Les produits en foam rentrent en Haïti via la frontière pour terminer leur course dans la nature, dans un pays où les déchets ne sont pas gérés encore moins collectés. Les déchets plastiques constituent un danger énorme pour l’environnement haïtien. Dans ce pays des Caraïbes, la quantité estimée de détritus produits est de 2,75 millions de tonnes par an et celle générée quotidiennement dans la zone métropolitaine est évaluée à une moyenne d’environ 1500 tonnes métriques (0,6 kg/jour/habitant), de laquelle seulement 200 à 300 tonnes par jour sont collectées et déposées à la décharge centrale officielle de Truitier, note l’évaluation Post-Désastre des Dommages et Besoins (PDNA) en mars 2010.


Ici, les ordures comme les produits en foam utilisés sont jetées dans les ravins, dans les rues et dans les décharges sauvages, qui sont trainées jusque vers les égouts qu’ils obstruent. L’encombrement des canaux et égouts empêchant l’écoulement des eaux usées, augmente les risques d’inondations après la pluie.

La décomposition des déchets, notamment celle du plastique, a pour conséquence le rejet d’éléments chimiques et polluants dans les sols et dans la mer, ce qui a un impact direct sur la biodiversité et les écosystèmes, selon l’étude du Groupe URD et CEFRADE.


« L’émanation de méthane et dioxyde de carbone liée à la dégradation des déchets contribue également au changement climatique », note-t-elle.


Dans la région de Port-au-Prince, chaque averse est majoritairement suivie d’inondations causées par les égouts obstrués par les ordures, dont 98 % des contenus sont des sachets, assiettes en Styrofoam et bouteilles en plastique, note un rapport du Service métropolitain Collecte des Résidus solides (SMCRS), entité étatique chargée de la « collecte et gestion des déchets » en Haïti.


« Les recommandations faites en ce sens plaidaient pour une meilleure gestion de la question et son interdiction. Les conclusions de ce rapport ont mené à la prise de l’arrêté de 2012 », justifie Jean Donald Paraison, l’ex-directeur général du SMCRS à la base du double arrêté. « Est-ce que techniquement et économiquement l’État à la compétence ? Ce n’est pas à moi de le savoir, mais à l’État central », ajoute-t-il. « Les décisions de l’État même si elles paraissent simples ne sont jamais faciles à prendre. Il y a de nombreuses variables à mettre en place si on veut aboutir à des résultats qui ne dérangent pas », nuance-t-il.


L’avenir est dans le recyclage et la réutilisation des plastiques, assurent des spécialistes haïtiens et étrangers. Les bouteilles en plastique, l’aluminium, les batteries, les déchets électroniques et électriques, les déchets organiques, les papiers et cartons et les déchets métalliques sont récupérés, collectés et recyclés. Face à l’avalanche des foams, la question que se pose les différents acteurs, c’est : qu’est-ce qu’on peut faire avec ?


Est-ce que c’est possible d’avoir un marché de recyclage pour eux ?


Pour les foams, considérés comme plastiques souples, la situation semble compliquée, à en croire l’étude du Groupe URD dans laquelle on peut lire : « Il n’existe pas encore de filière de recyclage pour les plastiques souples et polystyrène expansé ». Donc, acheter, transformer et revendre le foam n’est pas pour demain.

« Les sachets plastiques, sachets d’eau ou boites mangées en polystyrène (…) ne sont pas recyclables en Haïti », tranche-t-elle.


Selon Paraison, des décisions du gouvernement et du secteur privé sont nécessaires afin de gérer ces produits d’une autre façon. « L’État doit prendre des décisions pour s’assurer qu’il gère la question des plastiques qui sont jetées par terre. Ça prend 100 ans pour se dégrader, imaginez que vous jetez des centaines de milliers par jour, sans les ramasser et sans rien faire avec. Vous verrez tout l’effet que ça produit sur l’environnement ».


Pour l’agronome Jean-François Thomas, ministre de l’Environnement (2013-2015) durant la prise du deuxième arrêté daté 10 juillet 2013 et qui est entré en vigueur le 1eraoût 2013, « il suffit d’un effort de fermeté et de conscientisation. Les exemples sont faits pour sortir d’en haut. L’essentiel, c’est la continuité dans l’action. Sinon, vous continuerez à prendre des mesures qui tomberont à l’eau par la suite », termine-t-il.


Entre-temps, les foams, les plastiques et autres déchets, soutenus par un ensemble de problèmes structurels, politiques et un manque d’engagement citoyen, continuent leur course depuis Haïti vers les côtes des pays voisins de la Caraïbe.


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