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Maternité dans les camps de déplacés : accoucher dans l’indignité

  • 28 août
  • 4 min de lecture

Dans les camps improvisés et insalubres de la région métropolitaine de Port-au-Prince, de nombreuses femmes et filles mènent leur grossesse dans des conditions extrêmes. Privées de soins de santé, d’hygiène et d’alimentation adéquate, elles doivent affronter des épreuves inhumaines pour donner la vie. Ce combat quotidien pour la survie se déroule dans un contexte de violence généralisée, où l’effondrement du système de santé accentue la détresse de ces femmes déjà vulnérables.


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Reportage


Nephtalie Prédelus, 25 ans, serre dans ses bras son bébé d’un an. Elle vivait auparavant à Cité Marc, un quartier de Solino, dans le centre-ville de Port-au-Prince. Elle a tout perdu en fuyant les attaques armées, et réside désormais dans le camp installé dans l’enceinte de l’Office de Protection des Citoyens (OPC). Ancienne commerçante, elle porte encore les stigmates psychologiques et physiques d’une grossesse vécue dans l’incertitude et la peur constante.


« Ma grossesse était loin d’être facile. J’étais en stress permanent. J’ignorais où je serais le lendemain, si je serais déjà chassée de mon quartier, ou si je trouverais un lieu sûr pour accoucher », confie-t-elle. Lorsque les contractions sont survenues, l’ambulance demandée n’a pas pu arriver à temps, faute de carburant. Elle a donc accouché sur le camp, dans des conditions dramatiques qui l’ont profondément marquée. « J’ai failli mourir. Je n’avais que six grammes de sang dans le corps après l’accouchement. J’ai été transportée d’urgence à l’hôpital. J’ai perdu énormément de sang », explique-t-elle encore émue. Ce drame personnel n’est pas isolé : depuis 2018, de nombreuses femmes ont donné naissance dans des camps, dans des conditions similaires.


Une hygiène déplorable, un risque sanitaire majeur


Les conditions sanitaires dans les camps sont catastrophiques. L’eau est rare et rarement potable. Dans certains endroits, elle est salée ou irritante. Ailleurs, ce sont des eaux de pluie que les déplacés collectent pour leur usage quotidien. Beaucoup sont contraints d’acheter de l’eau, malgré leurs faibles moyens. Les toilettes, quant à elles, sont inexistantes ou hors service dans plusieurs camps. Les déplacés doivent se contenter de seaux ou de sachets pour leurs besoins, accentuant les risques sanitaires. Les déchets s’entassent et sont souvent brûlés à ciel ouvert. Dans cet environnement toxique, les femmes accouchent, et les bébés grandissent.


« Ma plus grande crainte, c’est mon mode de vie. Il n’y a pas de toilettes. Il y a des montagnes d’immondices partout. Quand il pleut, je dois dormir sur un bureau avec mon bébé. Je n’aime pas cette vie », déplore Nephtalie. Le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) déploie quelques agents dans certains camps. Mais leurs interventions se limitent souvent à la prise de tension artérielle, à la sensibilisation contre le choléra ou à la promotion de la vaccination infantile.


Selon un rapport du Réseau national de Défense des droits humains (RNDDH), publié en janvier 2024, ces services restent dérisoires face à l’ampleur des besoins. Certaines ONG locales et institutions internationales organisent des cliniques mobiles, mais celles-ci sont irrégulières, souvent sans médicaments suffisants. La majorité des femmes enceintes doivent être référées vers des maternités publiques, dont l’accessibilité est limitée par la crise sécuritaire et économique.


« De manière générale, les déplacés n’ont pas accès aux soins de santé », conclut le RNDDH. Il évoque notamment deux cas de bébés morts quelques jours après leur naissance et celui d’une fausse couche, causée par les conditions de vie insalubres. Nephtalie Prédelus, malgré tout, continue d’allaiter. Mais elle le fait dans des conditions alimentaires désastreuses. « Les conditions de vie ne sont pas bonnes ici, mais ça aurait pu être pire. Trouver de la nourriture est difficile, encore plus du lait pour le bébé. Moi, je peux me contenter de n’importe quoi, mais pas lui. Prendre soin d’un bébé ici est un cauchemar », dit-elle, épuisée.


Une santé fragile, une immunité réduite


Un médecin, travaillant dans l’administration publique et souhaitant garder l’anonymat, explique les dangers liés à ces conditions de vie. « Quel que soit l’être humain que vous mettez dans un environnement insalubre, le risque de maladies augmente. C’est une règle générale. » Ce risque est décuplé pour les femmes enceintes et les nouveau-nés, qui ont une immunité affaiblie. Ils sont donc plus exposés aux agressions extérieures : microbes, infections, maladies respiratoires et digestives.


« Les maladies hydriques comme la diarrhée, sont fréquentes. Il y a aussi des infections digestives, des affections cutanées et des maladies respiratoires. Pour les femmes, il faut ajouter les infections génito-urinaires et vaginales. La promiscuité entraîne aussi des épidémies de galle », ajoute ce médecin, fort de plus de trente ans d’expérience. Sur le terrain, ces constats sont confirmés. Ces maladies se propagent rapidement dans les camps. L’effondrement des structures sanitaires depuis février 2024, complique encore plus l’accès aux soins. De nombreux hôpitaux, pharmacies et centres de santé sont fermés, ou inaccessibles à cause de la violence des gangs armés contrôlant au moins 85 % de la région métropolitaine de la capitale.


Selon les données des Nations Unies, un habitant sur trois dans la région métropolitaine de Port-au-Prince est déplacé. Cette situation surpeuple les camps, où les risques sanitaires explosent. La baisse de l’accès aux soins mène inexorablement à une hausse des maladies (morbidité) et des décès (mortalité). « Quand l’accès aux soins diminue, la morbidité et la mortalité augmentent automatiquement », affirme encore ce médecin.


La crise ne freine pas les grossesses. Au contraire, leur nombre augmente dans les camps, conséquence logique du manque de prévention, de la promiscuité, de l’augmentation des activités sexuelles, du manque d’accès à la contraception, des violences sexuelles parfois signalées, de la prostitution larvée et de la pauvreté extrême. Les bébés naissent dans des conditions indignes, et grandissent dans des environnements où tout manque : soins, hygiène, sécurité, nourriture. Ces naissances, dans des contextes d’extrême précarité, mettent en péril la santé d’une génération entière.


Accoucher dans un camp de déplacés à Port-au-Prince, c’est risquer sa vie et celle de son enfant. C’est enfanter dans la peur, l’angoisse, l’oubli. C’est évoluer dans un environnement qui bafoue chaque jour la dignité humaine. La maternité, dans ces conditions, devient un parcours de souffrance et de résilience. Un témoignage silencieux de l’effondrement d’un pays, vu à travers les yeux d’une mère, Nephtalie Prédelus qui ne veut qu’une chose : « avoir une vie meilleure, faire du commerce et vivre dans un pays où la sécurité des vies et des biens est garantie.»

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