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Port-au-Prince : entre prolifération des gangs et multiplication des barrières

Alors que les gangs continuent de faire régner la terreur dans la capitale haïtienne, les quartiers se reconfigurent au quotidien. En territoires perdus, abandonnés, livrés ou convoités, de nouvelles frontières sont de plus en plus marquées par des barrières défensives. Si auparavant ce n’étaient que des initiatives isolées et circonscrites dans des endroits spécifiques, aujourd’hui, c’est devenu, pour les résident.es des différents quartiers de Port-au-Prince, l’un des moyens de lutter contre l’assaut des groupes armés qui tuent, incendient, vandalisent et violent en toute impunité.


Deux personnes qui franchissent à moto la barrière placée à l’entrée principale de Haut Turgeau, à l’est de Port-au-Prince. Le quartier a été la cible d’une attaque de gang en avril 2023. CP: EFE / Johnson Sabin, février 2024.



Enquête


À l’angle de la rue des Remparts et du boulevard Jean Jacques Dessalines, entrée nord de Port-au-Prince, les ruines du sous Commissariat de Portail St Joseph sont encore visibles. Le bâtiment a été attaqué par des bandits armés en juin 2021 avant d’être complètement détruits des jours plus tard. Trois policiers ont perdu la vie lors de l’attaque. Leurs corps ont été calcinés par les membres du gang Krache Dife (cracheur de feu, en français) qui ont mené l'assaut.


Les quelques marchandes assises au milieu des piles d’immondices, espèrent l’arrivée de potentiels acheteurs qui se font de plus en rare sur cette artère faisant partie de La Saline. La présence d’hommes armés oblige. Ce quartier précaire de la capitale fut le théâtre d’un massacre ayant coûté la vie à plus de 70 personnes dans la nuit du 13 au 14 novembre 2018 selon les chiffres officiels. Le premier de toute une série qui continue de reconfigurer Port-au-Prince et ses environs. 


Deux principales bandes armées s’affrontent régulièrement pour avoir le contrôle total de La Saline: le groupe Nèg Chabon et le groupe Kafou Labatwa, deux blocs du quartier. Si les guerres de gangs ne sont pas un phénomène nouveau dans cet environnement hostile, la présence des barrières défensives, avoisinant la dizaine, remonte à 2023. « Plusieurs barrières ont été érigées en 2023 lors du règne du chef de gang Marc qui a remplacé Ti Junior à la saline. À travers cette démarche, qu’il a continuée jusqu’au mois de janvier de cette année, Marc voulait protéger la zone contre ces ennemis », nous explique Claudia*, une résidente de longue date du quartier assise à côté de l’une des barrières. 


Le quartier de La Saline fut le théâtre d’un massacre ayant coûté la vie à plus de 70 personnes dans la nuit du 13 au 14 novembre 2018. Le premier de toute une série.

À La Saline, l’installation des nouvelles barrières font suite aux carcasses de voitures, aux sacs de sable, aux murs, aux tranchées, aux dos d’âne et aux conteneurs qui sont souvent placés sur les routes principales, voire secondaires, en vue de se protéger contre le retour imminent ou l’attaque-surprise d’une bande rivale. « Les affrontements entre les deux groupes principaux de La Saline font souvent suite au délogement du groupe perdant. Pour l’instant, les hommes de Kafou Labatwa ont le contrôle de la zone et font tout pour faire échec au retour de ceux de Nan Chabon. Même si l’arrivée de la nouvelle coalition armée Viv Ansanm (vivre ensemble, en français) change un peu la donne », souligne Claudia qui évite de nous fixer par mesure de précaution.


Assassinat par dizaines, bastonnades, viols collectifs, incendies de maisons… résultent des différents épisodes d’affrontements entre les groupes armés de La Saline. C’est la même réalité à Tokyo et à la Rue Saint-Martin, deux de ses quartiers voisins. Selon les circonstances, ces derniers peuvent être des alliés surs ou des ennemis. « Certaines barrières de La Saline ont été mises en place en raison d’une altercation avec les hommes armés de la Rue Saint-Martin, logés en face. La Saline s’est préparée au cas où cela occasionnerait une guerre », nous fait savoir Claudia.  


En plus des gangs armés, de l’absence d’autorités étatiques, des maisons trouées de balles, des familles croupissant dans la misère qui sont prises au piège, toutes les localités de cette région de la capitale ont en commun la présence de barrières défensives érigées entre 2023 et 2024. Delmas 2, un quartier à l’est de Port-au-Prince, aurait été le premier à se lancer dans cette pratique avant d’être suivi par ses voisins Delmas 4, Delmas 6, Delmas 8 et Delmas 10. Des territoires contrôlés par l’ancien policier Jimmy Chérisier alias Barbecue, l’un des chefs de gangs les plus puissants en Haïti. L’objectif : faire face aux éventuelles opérations du Corps d’Intervention et de Maintien de l’Ordre (CIMO), unité spécialisée de la Police nationale d’Haïti (PNH) dont le quartier général se trouve dans les parages de Delmas 2. 


« En 2021, les policiers de la CIMO sont entrés et ont saccagé Delmas 2 pour venger leur frère d’armes tué par l’un des groupes armés de la zone. Ils ont récidivé lorsqu’il fallait débloquer l’autoroute de Delmas pour faciliter la reprise des activités au niveau du terminal Varreux, le plus grand centre de distribution de carburant du pays, bloqué en 2022 par des hommes armés. Pour empêcher de nouvelles pénétrations de la police, des barrières ont été érigées », nous raconte Stevens*, un résident de Delmas 2 soulignant qu’au cours des affrontements entre les hommes de Barbecue et policiers du 15 mars dernier, les forces de l’ordre ont détruit les barrières placées à l’entrée de Delmas 2, Delmas 4 et Delmas 6. 


Plusieurs dizaines de barrières défensives ont été érigées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. La majorité, entre 2023 et 2024.  

En plus de lutter contre les unités de la PNH, ces quartiers qui se succèdent le long de l’autoroute de Delmas ont un autre opposant commun avec qui leurs territoires sont limitrophes au sud : le gang de Bel-Air, même si une période de paix est constatée depuis l’année dernière. C’est au cours de ce cessez-le-feu que la bande de Delmas 2 a profité pour ériger des barrières internes. « Les dirigeants n’ont pas voulu que Delmas 2 serve de passage aux hommes de Bel-Air versés dans les enlèvements. Ils ont dit vouloir protéger leur image de bande armée non impliquée dans le kidnapping contrairement à l’autre camp », explique Stevens soulignant que cette situation a poussé le gang de Bel-Air à rechercher d’autres territoires pouvant servir de passages tranquilles

   

Pour s’opposer aux groupes armés en quête de nouveaux territoires


Nous sommes à Solino, localité de Delmas 24, à l’est de Port-au-Prince. Du côté ouest de ce quartier populaire, les attaques du gang de Bel-Air ont laissé des traces. Certaines maisons ont même été incendiées avec leurs occupant.es. Les carcasses de voitures et de motocyclettes jonchent encore la chaussée. Les hommes de Kempès Sanon, chef du gang de Bel-Air, ne jurent que par le contrôle de cette localité avec laquelle leur fief partage la frontière. Leur dernière attaque a fait une vingtaine de morts en janvier dernier.


« Ils visent directement Solino », précise Carl-Henry, la vingtaine. Face aux différentes raisons évoquées pour expliquer l'événement, le jeune résident du quartier joue la carte de la prudence. « Ne pouvant pas vérifier les nombreuses théories qu’on évoque, je ne voudrais pas les donner chair. Les versions sont les unes plus floues que les autres », souligne-t-il. 


Contrôlé Solino, zone stratégique entre Delmas et Bel-Air, afin de poursuivre des enlèvements en toute tranquillité, loin des axes routiers principaux, est la théorie la plus évoquée et partagée pour expliquer les attaques subies par le quartier depuis 2023. Et pour mieux résister aux assauts des bandits, les habitants de Solino continuent de tout mettre en œuvre. Leurs deux principaux moyens de défense : Les brigades de surveillance et la construction de nouvelles barrières, dont l’une érigée à l’entrée est de la zone depuis 2023. Avec l’écriteau « fermée à 7 hpm », elle est constamment contrôlée et est à peine ouverte. Elle sert de premier rideau défensif aux brigades de surveillance. « Plusieurs policiers résidents dans la zone et aux alentours. Ils sont si nombreux que je me demande s’il n’y a pas une académie de police dans les parages. Ce sont eux qui répondent aux attaques des bandits de Bel-Air. Ils ont initié les brigades de surveillance avant d’être rejoints par des civils de la zone. J’ignore les conditions de leur présence aux côtés des policiers, mais ils sont là », nous explique Carl-Henry.


Contrôlé Solino, zone stratégique entre Delmas et Bel-Air, permettrait de poursuivre les actes d'enlèvements en toute tranquillité.

Solino reste l’un des rares quartiers de Port-au-Prince qui continue de résister aux attaques d’une bande armée criminelle en quête de nouveaux territoires tout en n’étant pas lui-même contrôlé par un gang, alors que dans la capitale haïtienne, faire échec aux assauts des bandits n’est pas chose évidente. Si avant, les quartiers craignaient les attaques de la coalition G-9 an fanmi e alye (G-9 en famille et alliés, en français) dirigée par Barbecue ou celle du G-PEP de Gabriel Jean-Pierre alias Ti Gabriel, un chef de gang évoluant à Cité Soleil, commune située à l’entrée nord de Port-au-Prince, aujourd’hui, c’est Viv Ansanm (Vivre ensemble) la nouvelle menace. 


En effet, depuis le 29 février 2024, G-9 et G-PEP se sont fusionnés en Viv Ansanm sous les ordres de Barbecue. Ils ont attaqué avant d’incendier plusieurs commissariats, sous-commissariats et antennes de police de la capitale. La prison civile de Port-au-Prince et celle de la Croix-des-Bouquets, commune située à une dizaine de kilomètres au nord de la capitale, les deux plus grands centres carcéraux du pays, ont été vidés de leur population estimée à plus de 4 000 personnes. 


Aujourd’hui, c’est Viv Ansanm (Vivre ensemble) la nouvelle menace. 

La prison civile de Port-au-Prince, quelques heures après l'évasion d'environ 3000 prisonniers. CP: Woo-Jerry Mathurin,  mars 2024. .

 

Plusieurs quartiers de la capitale ont été pris d’assauts. D’autres sont plus que jamais sur la défensive à l’instar de Haut-Turgeau, à quelques kilomètres du centre-ville de Port-au-Prince. « Turgeau a été attaqué en avril 2023. Nous avons pu résister. Pour mieux nous protéger, nous avons érigé deux grandes barrières sur les routes principales. Depuis les évènements du 29 février, nous avons placé une troisième », nous dit un habitant croisé à l’entrée principale du quartier où une barrière est érigée. Avant Viv Ansanm, elle était laissée grande ouverte jusqu’à 10hpm. Mais depuis la création de Viv Ansanm, elle reste à moitié fermée, souligne le résident. « Des membres de la population y sont maintenant postés à proximité et procèdent aux fouilles des personnes qui empruntent la route quand la tension monte dans la capitale», ajoute-t-il.


Sur cette partie de la clôture, c'est l'heure de fermeture et d'ouverture du quartier en général (Haut Turgeau). Si les habitants arrivent après cette heure, la clôture sera fermée et vous ne pourrez pas entrer chez vous. Port-au-Prince (Haïti). CP: EFE / Johnson Sabin,  février 2024. .

 

Le modèle Canapé-Vert ou l’autre phase des stratégies d’autodéfense


Dans ce combat de survie et de prévention perpétuelle qui s’articulent à Port-au-Prince, tout est envisageable. De la plus simple action comme cotiser pour la construction de nouvelles frontières marquées par des barrières ou se porter volontaire aux brigades de surveillances, la plus risquée. Et quand les personnes faisant partie ou suspectées d’être membres d’un gang sont appréhendés, ils sont exécutés. Leurs corps, calcinés à la vue de tous. Le plus grand exemple reste Canapé-Vert, où des membres de sa population avaient lynché près de 14 présumés bandits en avril 2023 lançant du coup, le mouvement Bwa Kale (Pénis décalotté et en érection, en français). « Après que ces personnes furent calcinées, la population de Turgeau qui était sur le départ a trouvé assez de motivation pour rester et résister aux assauts des bandits. Elle a bénéficié du support de Canapé-Vert. Les gens ont réalisé qu’il était possible de résister », se rappelle Arès, un résident de Canapé-Vert.  


Aujourd’hui, Canapé-Vert est l’un des quartiers les plus surveillés de la capitale. Au moins six (6) barrières sont placées sur ses grands axes routiers. D’autres sont en construction. Des brigades de vigilance y pullulent. Les résident.es du quartier tout comme les visiteurs subissent régulièrement des fouilles.  Sa population vit dans la crainte d’une attaque du gang qu’elle a privé de 14 membres-alliés. « Les gens ne dorment pas la nuit. Ils s’attendent à une réplique. Certains ont leurs valises à porter de main au cas où il faudrait courir. D’autres se sont munis de bouteilles, de machettes et ne jurent que par la résistance. Pour ces derniers, le quartier est leur seule demeure. Ils n’entendent pas fuir », nous raconte Arès.  


Au moins six (6) barrières sont placées sur les grands axes routiers de Canapé-Vert. D’autres sont en construction. Sa population vit dans la crainte d’une attaque du gang qu’elle a amputé de 14 membres-alliés.

La résistance et la chasse aux bandits initiées par Canapé-Vert ont poussé d’autres localités de la capitale à réactiver ou à créer des brigades de surveillance, rappelant ainsi l’ère de la première génération des zenglendos. Avant G-9, G-PEP ou Viv Ansanm, on redoutait ce groupe criminel spécialisé dans le cambriolage à la fin des années 80 et au début des années 90. 


« Les localités aisées comme Belvil, Vivy Mitchell [à Pétion-ville] ont eu recours au gated communities. C’est-à-dire des ensembles fermés résidentiels. [En plus des barrières placées à leurs entrées principales], on y trouve d’autres mesures de protection comme caméras de vidéosurveillance, agents de sécurité, chiens de garde… », nous explique le sociologue Djems Olivier. 


Entrée principale de Vivy Mitchell (gated communities). CP: AyiboPost / Jean Feguens Regala


Dans cette nouvelle ère de violence, le gros de la population, qui arrive à survivre tant bien que mal, poursuit-il, n’a pas les moyens pour se construire des gated communities. A la place, des localités de Tabarre, de Delmas et de Pétion-Ville érigent des barrières pour s’opposer aux incursions des gangs qui, lors des attaques, ont parfois à leur disposition des engins lourds. « Les habitants ont dû recourir à cette stratégie. C’est quand même une stratégie de réponse par rapport à ce que Mme Emmelie Prophète [ministre haïtienne démissionnaire de la justice et de la sécurité publique] appelle “territoires perdus”. D’un certain point de vue criminologique, on peut situer cette initiative dans une perspective de prévention situationnelle face à toute forme d’attaque extérieure », précise-t-il. 


Dans cette nouvelle ère de violence, le gros de la population, qui arrive à survivre tant bien que mal, n’a pas les moyens pour se construire des "gated communities".

Me Gédéon Jean, pour sa part, y voit une initiative qui répond à un contexte bien défini. Le directeur exécutif du Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH), une ONG haïtienne, soutient que le citoyen haïtien est dans une situation où il doit se défendre face à la cruauté des gangs. « D’autant que la police a des moyens humains, matériels et technologiques très limités, ce mode d’autodéfense ferait partie du répertoire d’actions de la population haïtienne face à l’oppression. On a eu koupe tèt boule kay [décapitations, incendies de maisons], pè lebrun [calcination de personnes vivantes]… À chaque contexte la cible change », souligne-t-il. 


Pour le défenseur des droits humains, les stratégies d’autodéfense de la population haïtienne font suite à des décennies de politique axée sur la violence. « Le niveau de la criminalité en Haïti aujourd’hui est fondamentalement la conséquence de l’exploitation des quartiers vulnérables à des fins politiques et économiques. Il faut responsabiliser généralement ceux qui ont dirigé le pays », appuie Me Jean. 


Une barrière n’étant pas encore érigée, le comité du quartier utilise un assemblage de fer comme rideau défensive. Port-au-Prince (Haïti). EFE / Johnson Sabin,  février 2024.


les stratégies d’autodéfense de la population haïtienne font suite à des décennies de politique axée sur la violence.

La base d'un problème futur ?


Si les barrières sont bien vues par plus d’un, certains spécialistes en sécurité émettent des réserves. C’est le cas de Jean Rebel Dorcénat, membre de la Commission Nationale de Désarmement, de Démantèlement et de Réinsertion (CNDDR). Selon lui, si aujourd’hui les initiateurs sont perçus comme les protecteurs des quartiers, la réalité peut changer d’un moment à l’autre. « Demain, les membres de la population les verront comme des chefs de quartiers. Un chef de quartier peut se transformer en n’importe qui », fait savoir le commissaire Dorcénat tout en annonçant que ce groupe, actuellement anodin, va finir par être au-premier plan.


« Je suis d’accord avec les barrières puisque l’Etat haïtien ne peut pas assurer la protection de la population. Mais il y a autre chose. Aucun groupe armé n’établit un gang dans un quartier sans la complicité de ces habitants. Ce sont les résidents des quartiers qui les livrent », poursuit-il.


En dépit des risques encourus, des quartiers de Port-au-Prince continuent de ne plus donner accès à leurs rues et impasses. A cause des barrières, certaines routes principales et secondaires font partie du passé. Ricardo Germain, spécialiste en études stratégiques, sécurité et politique de défense, considère cette stratégie comme une forme de réaction de la population visant à suppléer à l’incapacité de l’État haïtien à assurer la sécurité intérieure du pays. Selon lui, en lieu et place de cette substitution, une collaboration devrait être au moins observée. « La sécurité est une activité régalienne tant qu’elle s’agit de la sécurité intérieure et extérieure, ou pour faire simple de la sécurité nationale. Mais en matière de sécurité publique, la sécurité est l’affaire de tous dans la mesure où les citoyens peuvent être appelés à concourir aux côtés des forces de l’ordre pour résoudre certains problèmes liés à la criminalité », argumente-t-il. 


Aucun groupe armé n’établit un gang dans un quartier sans la complicité de ces habitants.

Si les barrières permettent aux citoyens de contrôler leur quartier à travers un système de sécurité collective, M. Germain croit que c’est une entrave à la sécurité sur le plan global. Ce qui, selon lui, peut avoir des conséquences néfastes dans un pays où le problème de l’insécurité est caractérisé par la criminalité et le conflit. « Le problème demeure dans la façon de faire. Dresser des barrières par-ci et par-là sur des voies publiques sans aucune forme de concertation avec les autorités revient aussi à se mettre en face de la puissance publique et à compliquer davantage les défis sécuritaires. Avec la multiplication de ces barrières qui vont de pair avec des groupes d’autodéfense, nous sommes à une phase d’embrasement du conflit où celui-ci pourrait se généraliser au point d’engloutir tout Port-au-Prince —, et par conséquent menacer le fondement social et institutionnel du pays », détaille le spécialiste en sécurité.


La fine frontière existant parfois entre gangs et groupes d’autodéfense est l’autre préoccupation de Ricardo Germain. « Ces groupes d’autodéfense vont essayer de se munir en armes et en munitions. Et s’ils ne sont pas encadrés, ils finiront par être transformés très probablement à leur tour en des groupes de bandits », souligne le spécialiste en politique de défense qui dit plaider pour une réforme globale et approfondie du secteur de la sécurité et de la justice en Haïti. « Et par la suite, la mise en application d’une approche contre insurrectionnelle », ajoute-t-il. 


Parfois, les frontières sont très fines entre gangs et groupes d'autodéfense.

James Boyard, de son côté, parle d’aller au-delà des facteurs en surface du problème. Et selon l’expert en sécurité, la pauvreté et le chômage devront être pris en compte comme facteur structurel tout en tenant en mettant l’accent sur l’absence d’infrastructures de services publics de base dans certains quartiers. « Les quartiers en situation de précarité sévère comme Cité Soleil, La Saline ou Bel-Air sont victimes du processus de relégation urbaine. Ce qui veut dire qu’ils ne bénéficient pas de la même attention que les quartiers en situation de transition [zones orange] et les quartiers en situation avantageux [zones vertes]. Leurs habitants ont développé une sorte de solidarité entre eux et cette solidarité s’est tournée contre l’État et contre tous les deux autres catégories de quartiers ou les autres groupes sociaux qui sont mieux pourvus », soutient M. Boyard ajoutant que cette situation leur donne une sorte de légitimité à être méchant sur la base qu’ils ont été maltraités et marginalisés.


« L’absence de l’État dans ces quartiers a engendré deux dynamiques de fractures sociales qui vont expliquer le niveau de violence dans ces quartiers. Une violence prédatrice. Ce qui est clair dans la posture prédatrice d’un groupe de bandits qui, par exemple, décharge leurs armes sur une voiture sans tenir compte des occupant.es », poursuit-il. 


Les habitants des quartiers en situation de précarité sévère ont développé une sorte de solidarité entre eux et cette solidarité s’est tournée contre l’État et contre tous les autres catégories de quartiers ou les autres groupes sociaux qui sont mieux pourvus.

Dans cette quête de délocalisation de la violence, M. Boyard dit constater que les quartiers en situation avantageuse comme ceux de Pétion-ville ont tendance à se transformer en quartier en situation de transition. Donc, en zones orange. « Des quartiers comme Belvil [fermés de tous les côtés] ne sont plus protégés à 100 % et sont exposés, depuis le début de 2022, à des incursions périodiques des gangs armés. Aujourd’hui, il n’y a plus de zones protégées », termine l’expert en sécurité.


*À l’exception des spécialistes, tous les noms des interlocuteurs ont été modifiés par mesure de sécurité.  



Jeff Mackenley GARCON

Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.

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