En près de 30 ans d’existence, la Police nationale d’Haïti (PNH) se voit confronter, à d’innombrables reprises, à des situations qui risquent d’aboutir à son effondrement. Corruptions, malversations, protestations internes, manque de professionnalisme et les violences policières, à titre d’exemples. Cependant, la pire des situations à laquelle fait face la PNH, c’est sa gangstérisation. Décriée, de plus en plus de voix exigent une enquête de moralité, communément appelée « vetting », en vue d’épurer l’institution pour la rendre plus efficace.
CP: Page Facebook PNH
Des anecdotes mettant en exergue la connivence qui existerait entre gangs et policiers ou de policiers qui font partie intégrante des gangs sont multiples. Chaque Haïtien dans la vingtaine en connaît au moins une au point que cette liaison entre gangs et policiers constitue un secret de polichinelle. Les cas sont nombreux. Allant de déploiement de tactiques de police par les gangs pour effectuer des kidnappings jusqu’à la facilitation du passage des gangs par des policiers, en passant par des policiers faisant partie intégrante de groupes armés. Sans oublier, des renseignements communiqués à la police qui arrivent jusque vers les gangs.
Samuel Madistin, ex-sénateur de l’Ouest, se rappelle d’un cas précis. « Un ancien directeur d’une branche de la police a raconté à un de ses amis quand il allait démanteler le gang Galil, toutes les interventions qu’il a planifiées ont échoué. Et un jour, avant de se rendre à Belleville pour démanteler le gang, il dit aux policiers que nous allons faire une intervention à Gressier et file pour y aller. Arrivé, là-bas, il leur dit non, c’est à Léogâne », nous conte-t-il.
En étant à Léogâne, au sud de Port-au-Prince, le chef des opérations a dit à ses troupes que c’était plutôt à Grand Goâve qu’ils vont se rendre. Sur place, il descend — prend une boîte — et a intimé l’ordre à tous les policiers présents de déposer leur téléphone. Tous ont obéi. Il s’est retourné pour dire, nous allons à Péguy Ville, commune de Pétion-Ville. Sur place, alors que le groupe a encerclé la maison où se faisait l’intervention, tous les téléphones ont commencé à sonner dans la boîte. « C’est dès lors que l’intervention a réussi. Cela veut dire que le gang détenait des éléments au niveau de la DCPJ - qui sont des agents qui représentent le gang. Donc, le pourquoi les interventions échouent pour démanteler le gang, c’est parce que la police était piégée par le gang », explique Me Madistin à Enquet’Action. Une anecdote digne d’un film d’Hollywood.
Entre 40 à 60 %, des policiers ont des connexions avec les gangs. C’est du moins ce que révèle une enquête menée par Sant Karl Lévêque, en octobre 2022. Des liaisons qui toucheraient la plus haute hiérarchie de l’institution policière. Une statistique qui donne froid au dos.
CONNIVENCE ENTRE GANGS ET POLICE : CONNUE DE TOUS ?
« C’est une situation qui existe depuis des années. (…) La question de la gangstérisation de la Police est posée dès la genèse de l’institution », a déclaré l’avocat et activiste des droits humains Samuel Madistin à Enquet’Action. Le politologue se rappelle des propos avancés par l’inspecteur général en chef de la Police, Jean Victor Arvel Jean-Baptiste (entre 2001 et 2002), sous le gouvernement de Jean Bertrand Aristide dans les années 2000. « Il n’y a aucun gang qui fonctionne au pays ne comportant pas au moins un policier. Tous les gangs qui sont bien organisés et structurés dans le pays, c’est parce qu’ils comportent des policiers », avait déclaré l’inspecteur de police, selon ce que rapporte Madistin.
D’autres déclarations du même genre allaient être faites par la suite par d’autres autorités. « La gangstérisation de la police est un problème très préoccupant, mais qui ne date pas d’hier », persiste et signe Me Madistin, responsable au sein de la Fondation Je Klere (FJKL), une ONG qui défend et fait la promotion des droits humains. « C’est connu. C’est quelque chose qui est public, il y a des policiers qui en même temps travaillent avec des chefs de gang. Les gangs infiltrent la police au lieu de l’inverse », ajoute-t-il. La preuve, les bandits sont plus efficaces dans leur lutte contre la police. Le policier qui se retrouve au milieu des gangs espionne davantage la police pour les gangs - au lieu d’espionner les gangs pour la police, relève Madistin. « Ce qui fait que presque toutes les interventions de la police échouent. (…) Ce n’est pas un hasard si malgré toutes les interventions de la police, elle ne parvient pas à maîtriser aucun chef de gang », constate-t-il.
Il arrive que la police passe toute une journée entière dans la base des gangs armés sans pouvoir arrêter un gang, sans saisir la moindre arme ni munitions. Les populations et gangs sur place sont toujours au courant de l’arrivée des policiers pour laisser le champ libre. « Les gangs piègent beaucoup plus la police au lieu l’inverse. C’est parce que vraisemblablement, il y a des policiers qui font partie des gangs pas pour infiltrer les gangs ni les piéger… mais l’inverse. Ils infiltrent la police au bénéfice des gangs », dénonce Samuel Madistin.
Avec cette infiltration, le territoire des gangs s’est révélé inattaquable. S’ensuit une perte de confiance de la population avec comme réaction le refus de collaboration avec l’institution de police.
ABSENCE TOTALE DE VETTING
Le vetting consiste en l’évaluation de la moralité et de l’intégrité de chaque agent à travers une série d’enquêtes menées conformément au droit haïtien et au code de discipline de la police, pour vérifier ses antécédents judiciaires ou disciplinaires voire ses comportements dans la vie sociale.
Depuis des années, le Réseau national de défense des droits Humains (RNDDH) demande que les agents de police soient certifiés. « Qu’il y ait un processus général de Vetting. Dommage, c’est un processus qui n’a jamais été mis en branle parce qu’à chaque fois, il nous tire la carte de l’inspection générale (IG) », souligne Marie Rosy Auguste Ducéna, avocate. Pour la responsable de programmes au sein du RNDDH, ce processus consistant en l’évaluation de la moralité et l’intégrité d’agents de la police est fondamental dans un contexte où au sein de l’institution policière, il y a des agents de la police qui ont des liens avec les gangs armés ou qui font partie des gangs armés. « Notre point de vue c’est qu’à un certain moment, il fallait faire une pause et se dire qu’il est important d’épurer l’institution policière. À aucun moment, cette recommandation n’a été prise en compte », dit l’avocate.
Mme Ducena croit que, par le fait qu’il y a tellement de mauvais grains au sein de l’institution, tellement de policiers indexés dans la corruption et dans des activités de gangs voire dans la grande criminalité, cela jette carrément un discrédit sur toute l’institution policière. « C’est pour cela que nous exigeons ce processus de certification », affirme-t-elle. Cette demande du RNDDH s’est intensifiée à partir de 2018. « On s’est rendu compte, qu’à chaque fois que la police doit aller faire une intervention dans un quartier défavorisé — les bandits le savent — tout en ayant le temps de s’échapper », avance la responsable de programmes au sein de l’institution de droits humains se plaignant de prêcher dans le vide malgré l’état de la situation.
Le plus grand processus de certification qu’avait eu dans la police, c’était avec la présence de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Il a été mis en place en 2006 par la PNH et la UNPol comme prévu dans le plan de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur la réforme de l’institution policière. Mais l’initiative a certifié que quelques policiers et le processus n’a pas continué. Ce vetting a été remis en question par bon nombre de personnalités haïtiennes soutenant que le processus a été arrêté trop vite tout en le qualifiant d’inefficace.
POURQUOI PAS DE VETTING DANS LA POLICE ?
« Pour faire le vetting de la Police, il faut d’abord qu’il y ait une volonté politique réelle et une capacité de la police aussi », affirme Samuel Madistin, responsable au sein de la Fondation Je Klere (FJKL), un organisme qui fait la promotion et la défense des droits humains en Haïti. Selon lui, la personne qui fait partie du secteur mafieux et de la police ne va pas rester les bras croisés et se laisser expulser de l’institution policière. « Ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire en bon enfant et se réveiller un bon matin en se disant qu’on va renvoyer 20 à 30 % de la police. Non ! Ils pourraient renverser de nombreux directeurs généraux de la police, renverser le gouvernement et faire d’autres choses », ajoute le politique et homme de loi.
Me Madistin pense que pour agir, il faudra avoir un gouvernement ayant la volonté politique et la capacité pour poser des actes. « Faire le vetting de la police — ce n’est pas un jeu. Ce n’est pas quelque chose que n’importe qui peut faire. Ce n’est pas quelque chose, que n’importe quel gouvernement peut réaliser », précise-t-il. Selon lui, le gangster au sein de la police sait que l’institution lui sert de couverture pour pouvoir faire ce qu’il fait. Il va résister à toute tentative allant à l’encontre de son double jeu. « Cet homme est prêt à se batailler. Et il est plus déterminé que la personne qui vient l’attaquer. Parce que c’est sa vie qui est en danger. C’est sa liberté qui est en danger. Ce sont ces biens qui sont en danger », dit-il en précisant que le Vetting ne veut pas dire mettre dehors les mauvais grains de l’institution policière.
Pour Samuel Madistin, les mauvais policiers peuvent être laissés à la PNH, mais doivent être mis dans un environnement où ils ne pourraient qu’agir correctement.
LA POLICE DIRE FAIRE CE QU’ELLE PEUT
La Police nationale d’Haïti (PNH) dit travailler pour envoyer des signaux clairs quant à un certain nettoyage de l’institution très décriée depuis des années. « On est intéressé à faire la lumière sur des situations auxquelles il y a des plaintes des populations », affirme une source policière à Enquet’Action en janvier 2023.
Près de 1422 personnalités au service de la police ont été révoquées en 2022 — dont 1242 policiers et 177 personnels administratifs. « Certains ont des dossiers pendants. Pour envoyer un signal clair, on traite tous les dossiers. Si on trouve des coupables, on les renvoie », ajoute la source rappelant que l’inspection générale a traité 69 cas en 2021 contre 130 en 2022. Actuellement, la question de vetting serait l’un des points préoccupants au sein de la police à en croire ce cadre de l’institution interrogé. « Sous peu, il devrait avoir un processus de vetting. Ceci n’empêche que l’inspection générale de la Police nationale d’Haïti (IGPNH) enquête sous des comportements douteux », nous informe-t-il.
Selon ce contact, la nécessité de ce nettoyage a été posée. « Le haut commandement fait de cela une préoccupation », précise-t-il, assurant que l’inspection générale n’arrête pas d’enquêter sur les comportements des policiers sur qui des soupçons pèsent ou qui sont l’objet de dénonciation.
Milo Milfort
Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.
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