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Le bassin « Source chaude » à Anse-Rouge, un patrimoine touristique noyé dans l’oubli

Depuis plus d’un siècle, le bassin historique « Source chaude » détient la réputation d’une source miraculeuse et merveilleuse. Il attise la chance, guérit des maladies, qu’elles soient naturelles ou surnaturelles. Il suffit de plonger dans le bassin. En dépit de ces bienfaits, le bassin « Source chaude » est perdu dans le tréfonds des patrimoines culturels du pays.




Reportage


Il ne sonne pas encore 14 heures quand nous arrivons sur le site historique et touristique de Source chaude, localisée dans la 2e section communale d’Anse-Rouge dans le département de l’Artibonite. L’atmosphère est calme. Des tas de détritus et d’immondices, montant à mi-hauteur aux alentours du bassin, servent à accueillir les visiteurs.euses. Des parcelles de vêtements usagés abandonnés s’étendent sur les branches d’un arbre géant à l’extrémité droite. Faute d’entretien, l’unique canal servant à évacuer l’eau chaude du bassin est rempli de moisissure (communément appelé limon). Il donne un aspect verdâtre. Entre des débris de toutes sortes et de la poussière, ce courant d’eau forme un galimatias nauséabond.


« Je n’ai jamais imaginé un jour que le bassin Source chaude tomberait dans un état pareil. Honte à nous ! », reproche Darline Etienne, 35 ans, elle fait la lessive à un jet de pierre du bassin. De l’air effrayé, la native de Source chaude se sent mal à l’aise face à la mauvaise gestion du site. L’élévation du mur, clôturant le bassin mythique « Source chaude », est montée en pierre. Malheureusement, quelques-unes se mettent à déraper momentanément, car, elle date de très longtemps. Nous avons esquivé la vieille porte métallique de cette muraille pour y accéder. Surprise totale ! L’eau chaude du bassin est sale. Très sale ! Des morceaux de savon et des fragments de tissus multicolores y vacillent. L’espace est presque rempli de gens. Il devient quasiment une douche populaire pour les résidents de la zone. Dedans, certaines personnes se mettent à se baigner sans cacher leurs nudités. D’autres s’occupent de nettoyer leurs chaussures.


Si en 2014, ce bassin a été rénové pour pouvoir accueillir des touristes venant des Gonaïves pendant la période carnavalesque, présentement, il est abandonné et livré à toutes sortes de pratiques. Aucune gestion rationnelle n’est faite. Pourtant, un comité de gestion de ce site composé de huit membres a été mis sur pied récemment, révèle Michelson Augustin, dans la trentaine. Torse nu, venant à peine de prendre son deuxième bain de la journée dans la Source chaude.


De la mauvaise gestion du bassin


Michelson Augustin est natif de la zone et le quatrième membre du comité de gestion. Incapable d’imposer son autorité au sein du comité de gestion et de mettre l’ordre sur le site, il ne cache pas sa frustration. « Au sein du comité, on n’a pas tous les mêmes droits. Pourtant, je suis jeune et je veux aider le pays particulièrement ma communauté. C’est ce qui m’a motivé d’ailleurs à prendre part à la formation du comité de gestion de ce site historique. Malheureusement, certains membres dudit comité nous ont barré la route », alarme le jeune homme, accroupi au bord du bassin.


« Il est vrai que je suis l’un des membres du comité de gestion, mais je me trouve en quatrième position suivant la hiérarchie », se déresponsabilise M. Augustin, d’un air triste. Cette fois-ci, il sort de la géante muraille de la source pour rejoindre sa motocyclette d’en face. Entre-temps, il met son t-shirt. Il avoue sans langue de bois que les hauts responsables chargés de nettoyer et de recevoir dignement les touristes se mettent plutôt ensemble pour faire disparaître ce comité, lorsqu’ils s’arrangent pour gaspiller le fonds généré par le bassin.


Darline Etienne, pour sa part, manifeste clairement son désaccord par rapport à la gestion du site. « C’est inacceptable la façon dont on gère l’espace. C’est un site historique et touristique. Quotidiennement des étrangers viennent de toute part. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le bassin doit régulièrement être nettoyé », recommande-t-elle vivement. Elle est assise par-devant deux cuvettes contenant chacune des linges.


Auparavant, il y avait des gens spécialement responsables de nettoyer la vue extérieure du bassin. Et, d’autres chargés de l’entretien de la source, se souvient fidèlement Mme Etienne. Par ailleurs, elle laisse croire que de manière hebdomadaire, on évacue l’eau du bassin. Afin de laisser partir les impuretés. Et, dans un laps de temps, l’eau remonte de la source. « On n’avait accepté que personne ne se baigne dans le bassin avec du savon et d’autres accessoires. Il y avait un espace approprié pour cela, avance-t-elle en faisant une rétrospection. Il était même conseillé aux gens de se laver avant d’entrer dans le bassin. C’est bien malheureux, les responsables d’aujourd’hui ont rejeté ces bonnes pratiques ».


Quand les étrangers y viennent, ils octroient de l’argent en échange d’une séance de massage puis plongent dans le bassin. On a monté une caisse avec cet argent, pour l’entretien permanent du site. Dès lors, l’espace était bien aéré et nettoyé. Il n’y a pas longtemps qu’on a fait du ménage ici, poursuit calmement Michelson Augustin. Il laisse croire que tout allait basculer lorsque la caisse serait vidée par les trois premiers membres sans aucune explication. Des allégations qu’Enquet’Action n’a pas pu vérifier. « Nous, le reste du comité, nous n’avons aucun pouvoir de décision. Nous sommes découragés d’avoir assisté à la mauvaise gestion du site sans pouvoir rien faire. C’est à cause de ces dérives que ce comité a failli à sa mission. Et, il a finalement disparu ».


Endi Estama a déjà soufflé ses 29 bougies à Source chaude. Il est cultivateur. Toute sa famille vit ici. Il y a une année de cela depuis que son oncle Fleurcius Estama était le haut responsable de ce site touristique. « On lui a même donné des papiers attestant qu’il est aux commandes de ce poste », scande le cultivateur à haute voix. Pendant la période carnavalesque qui se tenait aux Gonaïves en 2014, d’innombrables touristes venaient se tremper dans le bassin. Et, c’était le moment idéal pour Fleurcius Estama de gagner un peu d’argent, confie son neveu. Les étrangers abordent tous son oncle afin de les servir de guide.


De ce fait, il les dirigeait et les orientait sans difficulté. À leur départ, les touristes lui donnent de l’argent. « Mon oncle était lettré. Or, il faisait partie d’un comité où la plupart des membres ne savent ni lire ni écrire. Il était le plus intelligent. Donc, il était aux commandes de tout », affirme M. Estama. « Cela a entraîné de la jalousie. Par compromission, ces membres illettrés lui avaient détruit la vie », affirme-t-il sans réserve. Il remplissait normalement sa tâche. Pendant cette période, l’espace était bien aéré. Malheureusement, il a été tué tout simplement parce qu’il a fait une bonne gestion du site, poursuit-il. Car, il n’admettait pas de mauvaises choses ici.


Une source miraculeuse et merveilleuse


Source chaude est localisée dans le haut Artibonite, à 50 km du chef-lieu du département. Sécheresse, sol aride et non fertile, contrairement à la situation géologique de la première section et du centre-ville d’Anse-Rouge, les conditions climatiques ne sont pas les mêmes dans la deuxième section Source chaude. Ici, la couverture végétale est au rendez-vous. D’énormes arbres embellissent l’espace. L’eau coule sans arrêt.


Perdue dans les recoins du pays, cette section communale est surtout reconnue pour avoir possédé ce bassin historique et mystique contenant de l’eau à température élevée. Faire fuir la maladie, sortir du défaitisme, courtiser le succès, l’effet de ce bassin n’a pas de limite. Elle peut tout faire, certifie fermement Michelson Augustin. « C’est un fait certain et une vérité absolue. Source chaude est un lieu de grand miracle », soutient-il. En effet, « Il suffit de plonger dans le bassin, la guérison arrive sûrement », a rassuré le jeune homme. Sa croyance est visible dans ses propos.


Il y a des personnes handicapées dépendant totalement de leurs chaises roulantes qui viennent se baigner ici. Après plusieurs bains, ces gens ont déposé leurs chaises roulantes sans difficulté, avance avec certitude le quatrième membre du comité disparu. Plus de 200 ans d’existence, ce bassin est surtout réputé pour ses multiples bienfaits. C’est le cas d’un malade venant du Cap-Haïtien. Il se trouvait dans un état critique, avoue Michelson. Toute sa peau était épluchée. Ce dernier s’empêtrait dans une maladie mystique. Après avoir passé seulement deux semaines à prendre régulièrement des bains dans la source, sa peau était revenue à la normale.


« Je vis et j’ai grandi ici. Je vois beaucoup de miracles avec ce bassin. Des gens sont même venus du Canada sur la recommandation de leur médecin juste pour se baigner », laisse croire Michelson Augustin. Il dit recevoir souvent des personnes âgées de la zone, des témoignages d’étonnantes merveilles souvent produites dans cette source chaude. « Peu importe la douleur, cette source peut donner la solution », renchérit Endi Estama. Son père est houngan, il s’appelle Ticho. Il reçoit beaucoup de malades chez lui venant des États-Unis, du Canada, lance-t-il. Ils les renvoient toujours dans le bassin.


Diminution de la quantité de visiteurs


Comparativement aux années précédentes, le flot de touristes qui visitent le bassin a totalement chuté. Néanmoins, M. Augustin en bon débrouillard s’organise quand même avec les quelques rares visiteurs. « Même si l’effectif est réduit considérablement à cause de l’aspect que présente le bassin, les touristes viennent toujours ici », affirme-t-il, en souriant. Sur son visage, luit encore de l’espoir.


À Source chaude, il n’est pas seulement question de se tremper dans le bassin. Le massage d’une boue noire est aussi nécessaire. « 'Dekontwole’ » est son pseudonyme. Il habite la zone dès son enfance. Torse nu, aux cheveux crépus, comme toutes les autres personnes venant au bord du bassin, il s’apprête à y plonger. Ça fait trois ans que ce jeune homme de 24 ans s’occupe à masser les touristes à l’aide d’une boue de terre noire. Ce boulot n’est pas gratuit.


« Toutes les personnes doivent verser 250 gourdes pour que je puisse aller chercher la terre noire. Puis, pour faire le massage. Auparavant le prix était fixé à 1 000 gourdes », raconte-t-il d’un regard figé. Accompagnés de « Dekontwole », nous laissons le bassin, pour rendre visite à l’endroit où l’on enlève l’efficace boue de terre noire servant à masser les visiteurs. euses. À côté d’un arbre, à proximité du bassin source chaude, un gros trou est creusé. « C’est ici qu’on vient toujours chercher la boue. Alors, après l’épuisement de ce trou, on va certainement en creuser d’autres », explique-t-il d’un langage non fluide, car il est bègue.


Dieuliphète Jules, dans la trentaine, même s’il est de passage sur le site, il sort de son mutisme pour mettre les autorités locales (ASEC, CASEC) face à leurs responsabilités. Le bassin n’avait pas cette écrasante figure dans le temps. Tellement on ne valorise pas l’espace. Il devient dans un état critique. Comment voulez-vous qu’un étranger vienne ici ? Les autorités locales avouent leur impuissance. Ils doivent rectifier le tir, souligne M. Jules, en mettant la puce à l’oreille des concernés.


En dépit de l’insalubrité que contient l’eau, ce bassin revêt d’une importance capitale. « La porte de cette source est ouverte à ceux.celles qui ont des douleurs. Cependant, pour trouver de solution, l’application de cette boue sur la peau du malade devient presque une obligation avant de plonger dans le bassin », prévient Dekontwole, en frottant la boue noire entre ses mains. Les activités fonctionnent au ralenti ici depuis un certain temps, se plaint-il. « Je ne sais pas ce qui se passe, les touristes ne viennent plus. Sur ce, je les encourage à revenir chercher des solutions ».


Le soleil est prêt à toucher l’horizon. C’est le moment idéal pour les résidents de la zone de prendre leur dernier bain. Ils sont environ cinq personnes dans le bassin. Parmi eux, Jérôme Paul, âgé de 75 ans. Rides au visage, cheveux blancs, le septuagénaire est accroupi dans l’eau chaude. Cela date de très longtemps depuis que des étrangers viennent ici, juste pour se tremper, lance-t-il. « Ce bassin ne respecte pas les douleurs, les acnés et les boutons », affirme-t-il, se mettant à trembler dans l’eau chaude à cause du dégagement de la chaleur.


Pour lui, la carence de visiteurs sur le site est liée à la réouverture des activités scolaires. En outre, cette eau a un rapport étroit avec les forces mystiques. « Il est souvent intéressant pour les visiteurs de laisser une pièce de monnaie dans l’eau pour acheter leur solution », confia-t-il.


Comme le Carnaval, le Rara, la Soupe au giraumon, le Tchaka, le Lalo de l’Artibonite… le bassin Source chaude fait partie des patrimoines culturels d’Haïti. L’article 215 de la Constitution stipule que les richesses archéologiques, historiques, culturelles et folkloriques du pays de même que les richesses architecturales, témoins de la grandeur de notre passé, font partie du patrimoine national.


Nonobstant sa réputation dans le pays, le bassin Source chaude est perdu de vue du Bureau national d’ethnologie (BNE). Il se trouve dans un état critique. « Il est clair que l’État est absent », constate Endi Estama, souhaitant que la population d’Anse-Rouge particulièrement celle de Source chaude s’unisse pour changer le visage de ce patrimoine.


Pierre-Samuel MARCELIN

Ce projet de contenus est soutenu par IFDD/OIF.


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